Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/38

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Tout cela n’est pas du sentiment, à coup sûr. Les centimes additionnels ne sont pas un mythe, les filles et petites-filles de Law ont un extrait de naissance parfaitement authentique, les sommes retirées cent fois par l’Échiquier à la Banque d’Angleterre n’ont rien de fabuleux que nous sachions, et les millions de nos fortifications existent, ou plutôt ont existé ailleurs que dans notre imagination Les orgies financières les plus déplorables de l’Amérique n’ont rien qui se puisse comparer à ces dilapidations officielles, et au moins ont-elles laissé derrière elles, après de déchirantes convulsions, des monuments grandioses et d’immenses richesses. De tous les milliards dépensés par Pitt, par Napoléon, par la Russie, que reste-t-il ? Des lauriers tachés de sang, des hommes en lambeaux, veillant sur des drapeaux glorieusement troués, — un peu de gloire et de lourdes dettes !

Nous serons donc toujours fort peu empressés à confier à des fonctionnaires publics, quels qu’ils soient, la mission de pourvoir à la circulation monétaire du pays, d’autant plus que le crédit privé nous semble de nature à présenter des garanties plus que suffisantes.

À moins d’admettre, en effet, que les actionnaires et les directeurs de Banques soient doués d’aliénation mentale ou d’un désir violent de perdre leur fortune, il faut bien reconnaître qu’ils introduiront dans leurs opérations une prudence éclairée et sage. Dès le moment où il sera parfaitement établi que le fonds social sert de garantie réelle aux émissions, on peut être sûr que ces émissions se feront avec mesure, et que la réserve en numéraire suffira pour conserver aux billets de banque leur valeur primitive. Dans les plus grands entraînements de la spéculation, il y a un fonds sérieux, positif, réfléchi, et quand une association, un homme se jettent tête baissée dans les périls d’une entreprise, il est à croire qu’ils n’ont pas immensément à risquer. Si les Banques américaines ont répandu à profusion leur papier, c’est que ce papier ne reposait sur aucune base solide, accessible à des créanciers ; c’est qu’elles se réunissaient entr’elles pour constituer un fonds social, — lequel fonds social elles se prêtaient au besoin, comme cette dent fameuse et unique que se repassaient les Gorgones. On savait vaguement alors qu’on vivait sur un malentendu ; mais on trouvait agréable un malentendu qui donnait du travail à des populations entières, et on laissa le charme se rompre de lui-même. Que si ces prétendues Banques avaient eu pour les étayer une réunion d’actionnaires opulents, elles n’auraient pas risqué leur capital contre des signatures chimériques, et elles auraient sévèrement constitué leur comité d’escompte. Dans de telles conditions, lorsque vient la crise, toute Banque attend le choc, protégée par un double bouclier ; — son numéraire, ses échéances ; — et quant au porteur, avant que le désastre l’atteigne, il faut que le papier escompté ait presque complètement péri dans la tourmente, par la faillite des souscripteurs, et il faut, de plus, que tout le capital de la Banque ait été épuisé en remboursements. Des secousses assez terribles pour ébranler les plus fortes situations commerciales et pour