Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/373

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Ce n’est point en raison d’aucun avantage supposé provenant d’une grande population, ni en raison du bonheur dont peut jouir

    salaires ne gagne que ce qui est rigoureusement nécessaire pour se perpétuer et s’entretenir, il tire cette conséquence, qu’une industrie qui fait travailler sept millions d’ouvriers n’est pas plus avantageuse qu’une industrie qui en fait travailler cinq millions, se fondant sur ce que, dans l’un et l’autre cas, les ouvriers consommant tout ce qu’ils gagnent, il ne reste pas plus du travail de sept millions que du travail de cinq millions. Cela ressemble tout à fait à la doctrine des Économistes du dix-huitième siècle, qui prétendaient que les manufactures ne servaient nullement à la richesse d’un État, parce que la classe salariée consommant une valeur égale à celle qu’elle produisait, ne contribuait en rien, à leur fameux produit net.

    In universalibus latet dolus, a dit Bacon, avec ce bon sens exquis qui l’a fait nommer le Père de la saine philosophie. Lorsqu’on descendra de ces généralités aux réalités qu’il faut toujours prendre pour guides, on trouvera que sur sept millions d’ouvriers tous occupés, il y aura plus d’épargnes faites que sur cinq millions. Ce n’est que dans la classe la plus grossière des simples manouvriers que les gains se bornent à ce qui est rigoureusement nécessaire pour perpétuer cette classe. Du moment qu’il y a un talent ajouté aux facultés du simple travailleur, il en résulte une faculté un peu moins commune et moins offerte, circonstance qui ajoute à la valeur du travail qui en résulte. Smith remarque qu’une intelligence remarquable, une probité scrupuleuse dans cette classe, sont payées au delà du taux rigoureusement nécessaire pour perpétuer la famille. Aussi voit-on un très-grand nombre de familles de simples salariés qui font des économies, augmentent leur bien-être et leur mobilier, ce qui augmente la somme des épargnes de la société.

    Mais quand même il serait vrai que de sept millions d’ouvriers tous occupés il ne sortît pas plus d’épargnes que de cinq millions, serait-ce une matière indifférente que de nourrir l’un ou l’autre nombre ? Sous le rapport de la puissance nationale, la population, et une population active et industrieuse, n’est-elle pas une puissance aussi ? Et si quelque Attila barbare, ou même quelque Attila civilisé attaquait un pays populeux, ne serait-il pas plus facilement repoussé que s’il ne rencontrait pour s’opposer à ses armées, que des capitalistes spéculateurs occupés dans le fond de leur comptoir à balancer les prix-courants des principales places de l’Europe et de l’Amérique ?

    Sous le rapport du bonheur, on peut dire de même qu’il y a une plus grande masse de bonheur dans une population de sept millions qui gagne et consomme ce qu’elle gagne, élève sa famille, et jouit de l’exercice de ses facultés, que dans une population de cinq millions.

    Il semblerait que l’homme n’est au monde que pour épargner et accumuler ! Il y est principalement pour consommer ce que la nature lui donne gratuitement et ce qu’il acquiert par son industrie. Produire et consommer, voilà le propre de la vie humaine, voilà sa fin principale ; c’est ce que font les nations qui ne s’élèvent ni ne déclinent. Si elles peuvent y joindre des épargnes qui, en grossissant leurs capitaux, étendent leur industrie, c’est une circonstance favorable sans