Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/50

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prix du blé au même degré que la main-d’œuvre et le capital. » Au même degré ! Est-ce un aveu, est-ce un écart de la pensée ?

N’importe ; pour nous la rente est un droit dont le propriétaire se hâte de jouir ; droit légitime, mais que nous sommes appelés à contenir dans ses justes limites par l’affranchissement du travail, par l’association féconde des capitalistes et des travailleurs. Et cette association, nous la voulons non pas sur le plan des séduisants programmes offerts aux peuples par les prophètes de l’organisation du travail, du phalanstère, du communisme et autres institutions philosophais, mais sur le plan de quelques expériences fort heureusement tentées en France, en Belgique[1] en Angleterre, et que l’incurie de nos manufacturiers ne sait pas multiplier dans l’intérêt de tous. Ce qui ne nous empêche pas, soit dit en passant, de rendre une éclatante justice aux hommes éminents que compte le socialisme. Nous pouvons ne pas trouver leurs doctrines praticables, efficaces ou même originales : nous croyons qu’ils ont fait la poétique des sociétés au lieu d’en faire la logique : mais nous pensons que leurs généreuses inspirations ont rajeuni la science sociale, et qu’en critiquant et combattant nos doctrines, ils nous en ont mieux fait connaître la grandeur et la fécondité. Ce qui prouve que la concurrence des idées est tout aussi salutaire que celle des produits et des industries.

Or, pendant que les Principes d’économie politique et le beau travail sur la Protection de l’agriculture faisaient fortune dans le monde intellectuel, Ricardo faisait fortune dans le monde politique et financier. Et il put se présenter un jour aux électeurs de Portarlington sous le patronage d’une fortune qu’on a évaluée au chiffre fabuleux et douteux de 40 millions de francs, et entouré d’un respect qu’il devait à sa réputation de penseur, et à la noble indépendance de son esprit et de son cœur. Sur le théâtre imposant où il allait déployer l’autorité de son talent il fut avant tout l’homme de ses principes, de ses convictions, et on peut faire de lui cet éloge, qu’il a été fidèle ami, fidèle citoyen, et, pour compléter l’épitaphe, fidèle époux. Pendant vingt ans sa main serra celle de Malthus, de Mill, de Say, sans que l’antagonisme de leurs idées jetât le moindre nuage sur l’intimité de leurs âmes ; sans qu’il s’élevât jamais entre eux de ces tristes démêlés qui éternisent de nos jours les ignominieux conflits du savant Vadius et du sémillant Trissotin.

Ricardo siégea en 1819 à la Chambre des Communes comme représentant de Portarlington. Sa défiance en ses propres forces faillit priver le pays des grands services que ses fonctions civiques lui permirent de rendre. On lit dans une lettre écrite le 7 avril 1819, à l’un de ses amis : « Vous aurez vu que je siège à la Chambre des Communes. Je crains de n’y être pas

  1. Voyez un beau travail de M. de Brouckère sur la situation des classes ouvrières. L’auteur y a déployé une hauteur de vues, une générosité de sentiments, une sûreté de coup d’œil qu’on ne saurait dépasser.