Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/71

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mains la tasse, les bastons, & le siege, & pendant que tout cela se fait, celui à qui ces complimens d’honneur sont rendus, se tient à costé de celui qui les rend, & tenant les mains, & les frappant legerement dans les manches, proteste qu’il ne mérite pas cet honneur, & se courbant modestement rend grâces.

D’autant que les Chinois ne touchent aucune viande avec les mains, pource ne lavent ilz pas les mains, ni au commencement, ny à la fin du festin. Toutes ces ceremonies estant achevées, ilz font tous ensemble la dernière reverence à celui qui les convie, & les hostes une autre entre eux, puis chacun s’assied à table en sa place. Toutes les fois qu’on boit, le conviant prend la tasse à deux mains sur son assiette, & la levant doucement, & soudain abaissant, il invite les autres à boire en mesme temps estant tous tournez vers celui qui les convie, ilz font le mesme, & commencent tous ensemble de boire. Ce qu’ilz font si lentement en humant, que pour vuider leur tasse ilz la portent souvent quatre & cinq fois à la bouche. Ilz gardent tousjours celle façon de boire, sçavoir en humant, encor qu’ilz boivent de l’eau, & ne boivent jamais rien tout d’un trait comme nous.

La première tasse estant vuidée, on apporte peu à peu les viandes, desquelles ilz prennent tous (le conviant selon leur coustume commençant le premier en prenant les bastons des deux mains, & les eslevant & abaissant) & toutes les fois qu’ilz en touchent une, ilz en prennent deux ou trois morceaux, & les portent à la bouche. En quoy ilz observent ceci soigneusement, sçavoir que personne ne remette les bastons sur la table, que celui qui tient le premier lieu au festin, n’ait faict le mesme. Ce qu’ayant faict, soudain les serviteurs versent du vin chaud dans chasque tasse des conviez, commençant au principal, & apres avec mesme ceremonie on mange & boit, une, deux, & plusieurs fois  : mais ilz consument plus de temps à boire, qu’à manger. Or durant tous le repas ilz devisent fort de choses joyeuses, ou regardent une comédie, ou l’on entend quelque chantre ou joueur d’instrument de musique  : car iceux aussi souvent, encor que non appellez, s’ingerent parmi les festins, pour l’espoir de la recompense qu’on leur donne, quand ilz sont appellez.

Ilz mangent de tout ce qu’on a accoustumé de servir à table parmi nous, & n’apprestent pas mal leurs viandes ; mais on porte peu de chasque metz. Ilz establissent la magnificence du convive en la variété. Car ilz remplissent la table de plats mediocres, & d’autres plus petitz, & ne separent pas les chairs d’avec les poissons, comme nous ; mais ils les meslent sans esgard, & n’ostent jamais aucun