Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/72

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metz qui a esté une fois servi. Parquoy seulement ilz ne replissent pas les tables, ains mettent plats sur plats, de sorte qu’ilz semblent des chasteaux. On ne sert point de pain sur les tables des festins, ny de riz (qui entre les Chinois tient lieu de pain ), si ce n’est d’aventure en quelques festins moins somptueux, sur la fin de table. Et si on sert du riz, on ne boit pas de vin devant ; car les Chinois, mesmes en leurs repas ordinaires, ne boivent jamais de vin devant qu’avoir mangé du riz. Ilz admettent aussi divers jeux en leurs convives, ausquelz celui qui a perdu est contraint de boire avec grand applaudissement & cris de resjouyssance avec les autres.

A la fin du banquet ilz changent de tasses, qui encor qu’elles soient esgales, personne n’est neantmoins jamais contraint de boire outre ses forces ; ains seulement est amiablement convié. Le vin de la Chine se cuit quasi comme nostre biere, & n’est pas fort fumeux ; il enyvre toutefois les plus vaillans biberons. Mais le lendemain on le porte plus aisement. Au manger ilz sont du tout plus retenus ; & arrive souvent que celui qui doit sortir de la ville se trouvera en sept ou huict festins, pour contenter tous ses amis. Mais ceux-cy ne sont pas des plus magnifiques. Car ceux-là employent toute la nuict, & s’allongent jusques au lendemain matin ; en apres les restes des viandes & mets sont amiablement distribuez entre les serviteurs des hostes.

Quant au reste des ceremonies, celles-la me semblent estre les principales qui regardent l’honneur deu au Roy. Le Roy est honnoré & reveré avec plus de devoirs exterieurs, qu’aucun autre Prince de tout le monde, soit prophane, soit sacré. Personne ne parle à cestui-ci hormis les Eunuques qui servent au Donjon du palais, & les parens du Roy qui demeurent dans l’encloz du mesme palais ; telz que sont les filz & filles. Or laissans à part toute ceremonie & devoir rendu au Roy par les Eunuques, comme moins necessaire à nostre dessein, tous les Mandarins entièrement qui demeurent hors du palais (car les Eunuques ont aussi chacun leur ordre, & degrez d’offices) ne parlent au Roy que par requestes escrites. Mais ces requestes sont de tant de sortes & differentes façons, qu’elles ne se peuvent composer que par ceux qui y sont experimentez, si bien que chasque homme lettré ne les sçauroit disposer.

A chasque nouvel an qui commence à la nouvelle Lune qui precede ou suit prochainement le cinquiesme de Fevrier, duquel les Chinois content le commencement du Printemps, on envoye de chasque Province un Ambassadeur pour visiter officieusement le Roy, ce qui est rendu plus solennellement tous les trois ans, en forme d’offre de subjection, comme