cette tristesse cruelle où vous vous livrez, que je n’en aperçoive plus de traces dans ces yeux chéris. Ah ! vous le savez, tout mon bonheur dépend d’être sûr de celui d’Ernestine » !
Sans attendre sa réponse, le Marquis prit alors congé de mademoiselle Duménil : il sortoit, quand, revenant à elle, il lui demanda, d’un ton timide, s’il lui serait permis de la revoir. Henriette, douce, sensible, vertueuse sans rudesse, dédaignoit une sévérité, souvent affectée, toujours rebutante, propre à rendre la sagesse plus incommode que respectable ; elle ne croyoit pas devoir priver le Marquis de la vue d’Ernestine : elle lui répondit d’un air riant, qu’elle recevroit ses visites avec plaisir.
Obligée de descendre à l’heure du dîner, Henriette ne contraignit point Ernestine à paroître chez sa cousine ; quand elle remonta, on lui dit que son amie n’avoit pu se forcer à rien prendre : elle la vit abattue, baignée de larmes, la tête baissée sur son sein, son visage à demi-caché sous un mouchoir inondé de ses pleurs. « Eh ! d’où naît ce redoublement de douleur ? s’écria Henriette : quel sujet, quelles réflexions vous arrachent ces larmes amères » ?
« Je ne sais, répondit-elle ; j’ignore pourquoi mon âme est si cruellement oppressée ; je ne sentois point de désirs, je ne concevois pas des espérances, ma félicité me paroissoit le bonheur suprême ; elle remplissoit tout mon cœur, elle ne me permettoit pas de former des vœux : jamais je n’entrevis dans l’avenir un bien au-dessus de celui dont je jouissois, et cependant, ma chère Henriette, il me semble que j’ai fait une perte immense ; on vient de me ravir, de