Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 2, 1916.djvu/416

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 390 ]

unes de s’échapper avec le bétail ? C’est la seule supposition que nous puissions faire ; et d’ailleurs il a lui-même dissipé tout doute à cet égard. L’Île Saint-Jean n’était qu’à une faible distance de Beauséjour ; il serait, croyait-il, possible d’y diriger le bétail que l’on parviendrait à soustraire. Or, il ne voulait rien risquer quant à ce cher bétail, — dût-il pour se l’assurer séparer pour la vie les femmes de leurs maris, les enfants de leurs parents. Qui veut la fin veut les moyens. Or, il lui fallait avoir tout le bétail ; il a donc pris les mesures en conséquence. Que si la pitié n’avait aucune place dans son cœur, il savait du moins juger assez exactement des sentiments des autres ; il savait qu’après le départ des maris, des pères et des frères, ces épouses, ces enfants éplorés, abîmés dans leur désespoir et dans des angoisses mortelles, seraient bien incapables de songer à fuir en emmenant les troupeaux.

Winslow à Grand-Pré, Murray à Piziquid, Handfield à Annapolis, reçurent des ordres semblables à ceux que Monckton avait reçus à Beauséjour. Lawrence avait commencé par les habitants de Beauséjour, parce que ceux-ci, disait-il, ne méritaient aucune faveur[1]. La belle faveur, en vérité, en vertu de laquelle les autres seraient plongés, huit jours plus tard, dans le même abîme !


Un jour plus tôt, un jour plus tard,
Ce n’est pas grande différence,


comme disait le bon La Fontaine[2]. Si c’est là un sentiment

  1. « And as to those about the Isthmus who were in arms and therefore entitled to no favour from the government, it is determined to begin with them first. » — À Monckton, 30 juillet. Cf. Akins. P. 268.
  2. Les Poissons et le Cormoran. Fable cxcii. Dans le MS. original — fol. 569 après la phrase : « la faveur d’être plongés dans le même abîme huit jours plus