Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/341

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recevoir le coup fatal qui aurait mis fin à une existence empoisonnée et sans issue. Ah ! mais c’est qu’ils avaient des familles affligées par la misère, les séparations et la mort, qu’il ne fallait pas jeter dans une agonie plus grande, et laisser sans soutiens, sans consolations, dans la vallée de larmes que l’on creusait sous leurs pas ! C’est qu’ils puisaient dans cette religion dont on se moquait la force et le courage d’endurer et peut-être de pardonner.

Dépouillons la correspondance de ces gouverneurs pour démêler, s’il est possible, leurs secrètes pensées dans ces documents tissés de ruses, afin de voir si, à leur insu, ils n’auraient pas laissé échapper quelques expressions permettant de découvrir ce qu’ils avaient tant intérêt à cacher. On comprendra sans peine qu’en laissant les Acadiens dans la Province, leurs spoliateurs s’exposaient à des revendications dangereuses pour leur tranquillité. Si l’on admettait ceux-ci, il faudrait également admettre tous les autres qui avaient été déportés. Accepteraient-ils sans murmurer de devenir simples locataires des Conseillers de Lawrence, sur des terres qui leur appartenaient et qui avaient été défrichées par leurs ancêtres ? Et s’ils consentaient à s’enfoncer dans la forêt pour se reconstituer un nouveau patrimoine, le reproche involontaire et quotidien que leur présence et leur misère évoqueraient, ne serait-il pas pour leurs spoliateurs une torture de tous les instants ? Le criminel aime-t-il à être confronté toute sa vie avec sa victime ? L’escroc public se choisit-il une demeure somptueuse à côté de la hutte de celui qu’il a dépouillé ? N’était-il pas à craindre que ce voisinage intempestif n’ouvrit les yeux du public et des Lords du commerce, ne plongeât les spoliateurs dans l’humiliation et le discrédit,