Aller au contenu

Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/521

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 509 ]

été entravé, il l’est toujours. C’est contre leur gré qu’ils sont restés dans la province. Et cependant, l’on veut leur persuader que c’est volontairement, qu’ils sont désormais sujets britanniques et que, comme tels, ils doivent prêter serment d’allégeance absolue à leur Souverain.

Pris dans cet engrenage, que la malveillance de l’autorité complique encore, les Acadiens proposent un moyen terme, une solution à base de compromis. S’il est avec le ciel des accommodements, il semble qu’il puisse y en avoir, et à plus forte raison, avec le pouvoir civil, ce pouvoir fût-il celui de la Grande-Bretagne. Les habitants se déclarent donc prêts à jurer serment d’allégeance, pourvu qu’il y soit expressément spécifié qu’ils seront exempts de porter les armes contre les Français et les Sauvages leurs alliés.

Or, en 1730, le gouverneur Richard Philipps accepta officiellement cette formule de serment. La clause, expressive de la réserve de ne porter les armes contre les Français et les Sauvages leurs alliés, fut-elle insérée seulement en marge du document officiel relatif à la prestation du serment, sur un bout de papier qu’il fut ensuite facile de détacher de l’original pour que rien n’en parût aux yeux de la Métropole et qu’il n’en subsistât aucune preuve écrite ? Philipps l’accorda-t-il aux Acadiens de vive voix seulement et sur sa parole d’honneur ?

Ce qui est certain, entr’autres d’après le procès-verbal qu’en a dressé l’abbé Charles de la Goudalie[1], c’est qu’un serment conditionnel fut prêté par les Acadiens, et accepté comme valide, ratifié par le général Richard Philipps au nom du roi d’Angleterre. C’est de ce moment que date l’expression « Français neutres » appliquée aux habitants de l’Acadie. Ceux-ci avaient fait reconnaître leur neutralité absolue dans tout conflit entre les deux nations. C’était donc un grand point de gagné. Aussi les vingt années qui s’écoulent de 1730 à 1750, ou mieux à 1749, sont-elles, tout compte fait, les plus heureuses et les plus paisibles de toute l’histoire acadienne. Ce n’est pas qu’elles n’aient été traversées de quelques incidents : sous l’administration du gouverneur Armstrong, en particulier, — ce déséquilibré qui mit fin à ses jours un matin de décembre 1739, — les scènes, dont quelques-unes assez grotesques, n’ont pas manqué. Les missionnaires acadiens, notamment, ont eu des passe-d’armes avec ce matamore. Mais rien de considérable n’est venu troubler l’harmonie générale qui s’était établie, et qui permettait à ce que l’on a appelé « les arts de la paix » de se développer. Le gouvernement de Paul Mascarène fut à peu près un modèle du genre, si l’on veut bien avoir égard aux circonstances : ce Français Huguenot comprenait les Acadiens ; il était homme de bonne compagnie ; minutieux, ferme, mais poli, prêtres et habitants pouvaient s’entendre avec lui, car il était accessible aux bonnes raisons, aux loyales explications. Et cependant, la situation devint critique à un moment donné ;

  1. Cf. Acadie, tome ii, p. 362.