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la neutralité acadienne fut soumise à une rude épreuve : de 1744 à 1748, pendant la guerre dite de la Succession d’Autriche, l’Acadie ne fut pas envahie moins de quatre fois par les Français ; les chefs de ces expéditions, dont quelques-unes furent désastreuses pour les Anglais, par exemple, l’affaire de Grand-Pré, ne négligèrent rien pour attirer les habitants de leur côté : flatteries, menaces, tout fut employé à cette fin. Leurs efforts se heurtèrent en vain à ces consciences simples mais droites, que les plus belles avances ou la perspective de terribles représailles ne purent rendre infidèles à leurs promesses. Il a pu se produire des défections particulières mais en nombre négligeable ; ces cas accidentels ne furent que l’infime exception. Dans l’ensemble, dans la presque totalité, les Acadiens se montrèrent d’une correction absolue, à tel point que Mascarène a pu leur rendre ce témoignage : « Nous devons notre salut et la conservation de la Province au fait que les habitants français ont constamment refusé de prendre les armes contre nous. »[1] Ne fallait-il pas que la chose s’imposât avec la clarté de l’évidence pour qu’un pouvoir ombrageux, méfiant, susceptible, l’attestât si hautement ?

En 1749, avec l’arrivée d’Edward Cornwallis comme gouverneur, et la fondation de l’importante colonie de Chebuctou (Halifax), se font entendre les premiers grondements de l’orage qui éclatera en 1755, et répandra la dévastation parmi les habitants français. Cornwallis se présentait muni des plus amples instructions de la part de son Souverain, au cours desquelles il y avait des promesses alléchantes faites à ceux des Acadiens qui voudraient renoncer à la langue et à la religion de leurs pères, et passer au protestantisme. C’est la reprise en haut lieu du plan infâme déjà caressé par William Shirley, gouverneur du Massachusetts. Ah ! comme tout aurait pu s’arranger par une apostasie qui paraissait à ces bons messieurs la chose la plus naturelle du monde. Alors, l’avenir des Acadiens était assuré. L’apostasie, c’était pour eux le secret du bonheur. Pourquoi n’achèteraient-ils pas à ce prix une existence paisible et prospère ? Et la question du serment était brusquement ressuscitée et mise dans un relief qu’elle n’avait pas eu encore. Comme si cette affaire n’eût pas été réglée déjà à la satisfaction générale ! Comme si les Acadiens eussent manqué à cette neutralité qu’ils avaient jurée ! En récompense d’une attitude qui avait valu à la Grande-Bretagne, dans des circonstances fort critiques, la conservation de la Nouvelle-Écosse, Cornwallis, au nom et de par l’autorité du Roi, les somme de prêter un serment sans réserve, ou de s’en aller. Les Acadiens acceptent unanimement cette dernière alternative, ce dont il se montre surpris. Cet homme aurait-il jamais pu s’imaginer que, pour une simple raison de sentiment, ces gens naïfs, ces paysans, iraient abandonner leurs belles terres, diraient adieu à leurs foyers, plutôt que de

  1. « To the breaking the French measures… our French inhabitants refusing to take up arms against us, we owe our preservation. » Lettre de décembre 1744. N. S. D., p. 148-9.