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ayant auparavant attaché avec les cordes qu’ils avaient apportées le pétitionnaire Nicolas et un de ses frères afin qu’ils ne pussent suivre leurs parents âgés et sans défense. Le dit John Bailey tenait le dit Nicolas à la gorge pendant qu’un autre l’attachait… Boston, 26 avril 1756. » Ou encore, c’est Augustin Hébert, qui, dans une requête au lieutenant-gouverneur Spencer Phips, expose qu’il a été traité très brutalement par le capitaine Conligot, qui lui a arraché un de ses enfants, lorsque le pétitionnaire parvenait à les faire vivre par son travail. Et non content de cela, il a battu votre malheureux pétitionnaire au point que celui-ci a pu à peine marcher pendant deux semaines. » C’est Laurence Mius qui « déclare au gouverneur Pownall que vers le commencement du mois de mars 1758, les conseillers de Methuen, ont envoyé le pétitionnaire et son frère travailler, leur promettant le salaire qu’on payait aux autres dans cet endroit. Ils ont travaillé pendant deux mois, mais lorsqu’ils sont allés pour retirer leurs salaires, votre pétitionnaire a reçu trois verges de vieille toile évaluée à 7 deniers la verge, deux livres de morue sèche, et une livre de graisse de porc, et son frère n’a guère reçu davantage… Le frère de votre pétitionnaire a travaillé pour la valeur de 3 pistoles et 15 shellings, mais lorsqu’il a réclamé ce montant, non seulement on lui a refusé le paiement de son travail, mais il fut chassé et poursuivi par un homme armé d’un tisonnier, qui le frappa dans le côté. Le coup qu’il reçut lui fit cracher du sang pendant le reste du jour… Son assaillant lui dit que, sans la crainte de la justice, il l’aurait tué comme une grenouille… » C’est John Labador qui expose que depuis dix semaines il n’a reçu pour subsistance qu’un quartier d’agneau et une pinte de lait par jour pour une famille composée de sept personnes. Il n’a pas de bois parce qu’on lui a refusé un bœuf pour transporter chez lui celui qu’il a coupé lui-même ; il est présentement abandonné avec sa famille, sans vivres et sans feu dans une maison qui n’a ni porte ni toit. Lorsqu’il pleut, il leur faut transporter leurs lits sous le vent afin de se mettre à l’abri de la pluie et de la neige fondant. Il lui arriva un jour de faire remarquer à un conseiller qu’ils étaient inondés dans la maison ; celui-ci répondit d’y construire un bateau et d’y naviguer… »

J’ai là, sous les yeux, toute une masse de documents, que j’ai copiés moi-même ou fait photographier d’après les originaux, tous remplis des plus abominables cruautés, tous exhalant de ces plaintes dont je viens de vous faire entendre quelques accents. Ces malheureuses familles, déjà démembrées dès leur départ pour l’exil, se voient souvent ravir par force les enfants qui leur restent. Et on ne leur permet pas de se visiter d’un village à l’autre. Elle sont tenues dans l’isolement, séquestrées en quelque sorte, l’objet d’une surveillance jalouse. Il faudrait écrire sur cet ensemble de pièces où éclate la méchanceté humaine les mots de Shakespeare : horreur ! horreur ! horreur ! Parmi toutes ces brutalités dont le détail serait infini, l’on relève un seul acte inspiré par la pitié, un seul ! Il en est d’autant plus précieux. Il est de Thomas Hutchinson, qui devint plus tard gouverneur de la province et qui s’en fit le