Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/548

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premier historien. Laissez-moi vous le citer. Il nous reposera des émotions et des frémissements que les notations précédentes ont soulevés en nous :

« À son Excellence William Shirley, etc. Votre pétitionnaire ayant été informé de la profonde détresse dans laquelle étaient les habitants français, à bord des bateaux récemment arrivés dans ce port, est allé visiter l’un de ces bateaux où il a trouvé plusieurs des passagers en train de périr, par suite des souffrances qu’ils avaient endurées ; entr’autres une veuve respectable et âgée, qui était gravement malade depuis quinze jours sans avoir reçu le moindre soin. Votre pétitionnaire ordonna qu’elle fut débarquée et logée dans une de ses maisons, et pourvût également à ce qu’elle fut soignée. Mais toutes ses attentions furent inefficaces : elle est morte quelques jours après. Avant de rendre le dernier soupir, elle me supplia, au nom de notre commun Sauveur, d’avoir compassion de ses enfants, savoir deux fils, deux filles et un petit-fils. Ces enfants ont depuis demeuré à Boston et ont eu fréquemment recours au pétitionnaire. Mais ils m’informent maintenant que l’on veut les transporter dans quelque lointain village et cela les met au désespoir. Votre pétitionnaire demande humblement que cette petite famille du nom de Benoit continue à habiter Boston, ou qu’elle aille résider à Cambridge avec une famille du nom de Robichaud. Et il est prêt à se porter garant, s’il le faut, de la correction de la conduite de ces malheureux enfants… »

C’est là tout ce que les documents officiels du Massachusetts nous présentent en fait de sympathie et de compassion accordée aux infortunés Acadiens. C’est peu, mais cela suffit pour nous faire bénir le nom de celui qui a senti ses entrailles s’émouvoir devant tant de malheurs immérités. Parmi tous ces puritains soi-disant évangéliques, Thomas Hutchinson est le seul qui ait montré à l’égard de ces neutres français de la charité chrétienne.


III


C’est une notion philosophique, basée sur la nature des choses et sur l’expérience, que le mal est essentiellement stérile. Et la métaphysique va jusqu’à dire qu’il est le non-être, non ens. Et comment le non-être produirait-il des résultats appréciables, à quelque point de vue que ce soit ? Le bien seul fonde. Le mal est, en soi, un agent de ruine et de mort. Entre tous les crimes qui furent jamais commis, et qui, par conséquent, n’ont pu enfanter que la destruction, il n’y en a peut-être pas eu de plus parfaitement inutile, sous quelque face qu’on le considère, que celui dont nous venons de vous exposer les grandes lignes, ni qui ait tourné davantage au détriment de ses auteurs. Et je ne veux pas insister ici sur le détriment moral, car cela est bien entendu. Une nation civilisée ne donne pas un pareil scandale, qui a consisté à s’emparer par la ruse et par la force de tout un petit peuple paisible et soumis, à le rendre d’abord la victime du plus effréné des brigandages, à le disperser ensuite au hasard, sans tenir aucun compte des liens du sang, dans des milieux