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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/551

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jamais inspiré un plus absurde vandalisme, qui s’est retourné contre ceux-là mêmes qui s’étaient glorifiés de l’avoir déchaîné ? Quelle folie sacrilège d’appauvrir ainsi, de ruiner systématiquement, sous des prétextes qui ne tiennent pas debout, que la raison condamne non moins que la conscience, un territoire que l’on est au contraire chargé de faire prospérer ! Quant à Lawrence, en particulier, il semble bien, tant il faut que tout se paye ici-bas, que les quatre ou cinq années qu’il lui restait à vivre, aient été comme empoisonnées par les soucis de toute nature qu’engendra son magnifique exploit : incessantes réclamations de la part des divers États où avaient échoué les neutres français ; difficultés de faire renaître l’abondance là où ses stupides décrets avaient promené la dévastation et la mort, critiques contre son administration ; embarras financiers, échecs politiques, etc., etc. Il est vrai que la Métropole, comme pour sanctionner son crime, l’avait, dès l’aurore de l’année 1756, nommé gouverneur-en-chef de la Nouvelle-Écosse. Mais, quand la Grande-Bretagne put entrevoir la marche victorieuse de ses armes du côté du Canada, et que ses inquiétudes commencèrent à se dissiper, et que ses ambitions séculaires prirent de plus en plus figure de réalité, alors la déportation des Acadiens, qui apparaissait comme si nécessaires autrefois, perdit à ses yeux de son importance stratégique ; et celui qui l’avait accomplie avec un enthousiasme digne d’une meilleure cause, en fut atteint dans son prestige de soi-disant sauveur des destinées anglaises, en ce continent. Sa gloire s’amoindrissait, au fur et à mesure que son acte s’illuminait d’une clarté différente, et prenait un recul qui en diminuait la valeur pratique, et le montrait mieux, sinon comme un crime, ce que les Anglais n’ont jamais admis, du moins comme un fait d’un intérêt local et limité. Du reste, crime ou sottise, fait supérieur ou bévue politique, la chose avait coûté cher : et ce sont ces énormes dépenses, causées par l’expulsion des neutres français, que les hommes d’État anglais ne pourront pas avaler et qu’ils ne pardonneront pas au gouverneur de la Nouvelle-Écosse. Ainsi que l’a dit l’historien James Bryce dans une analyse de l’ouvrage Acadia, Lawrence died under a cloud.[1] Lawrence est mort à temps, car les foudres officielles s’apprêtaient à le frapper. Pour avoir échappé, en somme, à la disgrâce humaine, cet homme, l’un des plus grands malfaiteurs de l’histoire, aura dû recevoir, à l’heure où il s’abîmait dans l’éternité, une rétribution d’autant plus rigoureuse.

Une dernière considération, que j’ose à peine énoncer, tellement elle s’impose et ressort d’elle-même de tout ce que nous avons dit touchant la Tragédie Acadienne… ah ! Je ne sais pas quels mots inventer ! Ce serait un singulier euphémisme, doublé d’une plate banalité, que de dire que la déportation fut

  1. « …Lawrence ended his career under a cloud. » Cette critique d’Acadia a paru dans The Speaker, London, England, 30 Sept, 1899.