Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/67

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humain. Aussi, l’on a vu avec quel accent triomphal l’auteur chantait sa conclusion et de quels dithyrambes il l’accompagnait. Nous doutons que Pindare lui-même se soit élevé plus haut dans l’échelle du lyrisme ! Seulement, pourquoi faut-il que toute cette dépense d’enthousiasme, ce cliquetis de mots sonores et vides, cette éloquence à froid tombent à plat ? Notre note 15 de ce chapitre a déjà jeté une douche abondante sur ce beau feu. Et voici un supplément de réflexions qui devra achever, pensons-nous, d’éteindre ces ardeurs dont la générosité avait le grand tort de se tromper d’adresse. Il s’agit donc de la fameuse dépêche du Secrétaire d’État Sir Thomas Robinson, si chère au cœur de tous ceux qui voient dans la politique coloniale britannique un modèle d’humanité, et dans son attitude à l’égard des Acadiens en particulier le nec plus ultra d’un libéralisme où la tendresse le dispute à la justice sociale. Cette dépêche est datée du 13 août 1755. Fut-elle expédiée immédiatement ? Quand arriva-t-elle à destination ? Les Archives que nous avons pu consulter ne le disent pas. Tout ce que nous savons, c’est que Lawrence l’avait reçue avant le 30 novembre 1755, puisqu’il la mentionne dans une lettre de ce jour au même. Lui était-elle parvenue beaucoup plus tôt ? ou venait-elle seulement de lui être remise ? Là-dessus nous n’avons que des conjectures. Maintenant, — prenons cette lettre pour ce qu’elle n’est pas, à savoir une protestation contre une déportation projetée, une défense d’opérer pareille chose, — alors, 1°) Nous pouvons trouver que cette défense vient bien tard. Quand, par ses lettres datant d’un an plus tôt, Lawrence avait déjà donné clairement à entendre que c’était cela qu’il voulait, pourquoi le ministre avait-il tant attendu avant de se mettre en travers de ce plan et de l’étouffer dans l’œuf ? 2°) Puisque Robinson y affirme qu’au mois de mai 1755, une sorte de concordat avait été passé pour régulariser le sort des Acadiens, entre l’ambassadeur de France et le roi d’Angleterre, pourquoi n’est-ce qu’en août, c’est-à-dire trois mois après, qu’il s’est décidé à en faire part à Lawrence ? 3°) Devons-nous plutôt prêter à Sir Thomas Robinson un réel machiavélisme, et croire qu’il aura envoyé cette dépêche sans se faire illusion aucune sur sa portée pratique, et seulement pour se couvrir, lui et le gouvernement, devant la postérité, et se laver ainsi les mains du crime qui allait être perpétré ? La vérité est beaucoup plus simple que tout cela. Et la vérité est qu’il n’y a pas trace dans ce document de protestation contre la Déportation. Le temps pressait pourtant, et Robinson n’était pas sans le savoir. Cependant, toute la première partie de sa lettre est consacrée à ergoter sur les divers sens possibles des mots : to drive away the French Inhabitants, dans l’esprit de Lawrence ; oui, comme un pédagogue en mal de distinction, il repousse les significations variées que ces mots peuvent avoir. Et pour conclure à quoi ? L’on s’imaginerait, en bonne logique, que Robinson va dire à Lawrence : « Quoi que ce soit que vous ayez entendu par là, nous ne voulons admettre aucune de ces interprétations, et nous vous défendons absolument d’exécuter quoi que ce soit qui ressemble à une expulsion partielle ou générale. » Si le Secrétaire d’État avait parlé ainsi, l’on pourrait encore trouver