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rieure en nombre à la population totale de l’Acadie. Et lorsque le Canada dût à son tour céder à l’envahisseur, c’est qu’il n’y avait plus pour lui d’autre issue possible. Que faire en effet avec cinq ou six mille soldats contre les soixante mille que lui opposait l’ennemi[1] ?

Nous n’avons pas voulu déprécier les mérites des colons anglais ni rehausser jusqu’à l’excès ceux des colons français, ni même établir entre eux des comparaisons. Les uns et les autres avaient leurs qualités et leurs défauts. Nous avons seulement voulu protester contre l’opinion qui attribue le succès final des Anglais à leur prétendue supériorité dans l’art de coloniser. Cette supériorité est une lubie. Ils avaient le nombre, la force matérielle : cela explique tout. Quant aux colons français, ils ont donné des preuves d’endurance, d’initiative et d’intelligence qui leur eussent permis d’accomplir des merveilles s’ils se fussent trouvés dans des conditions seulement normales. La déplorable issue de la colonisation française en Amérique est imputable, non pas aux colons mêmes, mais au gouvernement, et à un fâcheux concours de circonstances qui ont rendu vains les plus admirables mérites personnels et les plus nobles efforts de l’héroïsme.

  1. « Déjà vaincus par les Canadiens, en 1690, les Anglais réunirent, pour attaquer l’Acadie de 1705 à 1707, trois années successives qui furent battues ; puis une quatrième en 1710, laquelle ne put être victorieuse qu’en enrôlant deux fois plus de soldats que le pays ne contenait d’habitants… Enfin, on vit se renouveler le phénomène singulier que présenta, en 1710, la conquête de l’Acadie… La petite armée des Français, décimée par quatre années de victoires, ne recevant aucun renfort de la Métropole, réduite à cinq ou six mille hommes, fut attaquée par soixante-dix mille soldats… Pendant soixante ans, un petit peuple dont la population a varié de 18,000 à 70,000 âmes, a pu résister à l’ambition ardente et à la haine acharnée d’une nation qui, dans les mêmes temps, comptait de 260,000 à 1,200,000 habitants ! »

    Rameau, op. cit. p. 299-300.