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fait que ces colons aient l’intention de venir molester la garnison n’entre pas du tout en ligne de compte. Au dire de Philipps, c’est plutôt la garnison qui sera empêchée d’aller les inquiéter dans leur marche vers la liberté.

Hélas ! il était décrété que les Acadiens ne quitteraient jamais leur pays, si ce n’est quand viendrait l’heure sombre de la déportation. Cette fois encore, le mauvais vouloir de l’autorité les rivait malgré eux à un sol toujours cher, mais où leur cœur ne reconnaissait plus la patrie. L’alternative qu’on les avait mis à même de choisir s’évanouissait à nouveau. Faisons la somme des tromperies dont ils furent victimes : ils avaient cru d’abord pouvoir partir sur les vaisseaux anglais, cela leur fut refusé ; ils avaient alors demandé que l’on permit à des navires français l’entrée des ports de l’Acadie, même refus ; finalement, ayant construit de petits bâtiments, ils voulurent se procurer de quoi les fréter soit à Louisbourg, soit à Boston, mais en vain. La voie maritime leur était fermée, ils essayèrent de la voie de terre, et là encore tout fut inutile. Il leur restait donc les airs. Par malheur, les ballons dirigeables, voire même la primitive montgolfière, n’étaient pas encore inventés. La lettre de la reine Anne leur avait accordé le droit de vendre leurs immeubles. Or, d’obstacle en obstacle, de restriction en restriction, de ruse en ruse, les agents chargés d’exécuter les ordres royaux en étaient arrivés à les interpréter ainsi : « Si vous partez, nous ne vous permettrons même pas d’emporter vos effets ! » La formule voulait dire au fond : « Vous resterez ici aussi longtemps qu’il nous plaira. Nous nous chargeons d’effectuer ce départ tant souhaité, mais il ne se fera pas dans les conditions que vous espériez. Quand le moment en sera venu, nous vous prendrons, vous, vos femmes, vos enfants, et nous irons vous semer au hasard