Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome I, 1916.djvu/411

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 379 ]

du côté des Français, comment contenir les Sauvages irréconciliables ? Comment défendre la colonie ? Et puis va-t-on permettre aux Français voisins de se renforcer de la sorte ? C’est ce que les Lords du commerce, à Londres, comprennent à merveille. C’est pourquoi, tout en faisant mine de sauver l’honneur du roi, lequel n’est pas en danger, ils envoient des gouverneurs avec instructions d’insister sur la formalité du serment absolu, qui oblige les Acadiens à porter les armes en faveur des Anglais, tout en se gardant bien de les laisser s’échapper. Tout cela ressort clairement des faits. Les guerres fréquentes du temps, la seule perspective qu’il y en eût devait rendre, à la fin, la position des Acadiens extrêmement difficile. Leur tort irrémédiable est de n’avoir pas quitté le pays, en dépit des obstacles, puisqu’on les traitait au mépris des conventions les plus sacrées. Ils en avaient le droit et ils en avaient le moyen ; mais les Acadiens, cette bonne paysannerie du xviie siècle, avaient un respect si aveugle du pouvoir qu’ils se fussent crus en conscience de secouer la tyrannie qui les accablait. Au fait, ce même fétichisme de la légalité existe encore chez le peuple de France.

En 1720, le général Philipps arrive en Acadie, revêtu de toute la pompe vice-royale. L’on sent qu’il a été l’objet d’un choix tout particulier. À peine est-il débarqué à Port-Royal qu’il intime à tous les Acadiens l’ordre de prêter serment absolu d’allégeance. La proclamation dit néanmoins qu’ils peuvent partir, mais s’ils choisissent cette alternative, défense leur est faite de vendre ou d’emporter leurs biens. Au grand désappointement de Philipps, ils n’hésitèrent pas à déclarer qu’ils vont partir. Le manipulateur des archives ignore cette proclamation ; il insère au volume les lettres du vice-roi et omet les réponses qui leur ont été faites. Notre historien en compte au moins six qu’il a sous la main. Pas moins de vingt documents importants manquent jusqu’ici. De 1722 à 1725, le volume n’en contient pas un seul. En 1725, Armstrong, devenu gouverneur, menace de traverser en armes toute la Nouvelle-Écosse pour réduire à l’obéissance ces vilains habitants français. Bon nombre se sauvent ; d’autres ayant osé formuler des explications, leurs délégués sont jetés en prison. À la fin, l’envoyé d’Armstrong est contraint de se contenter du serment conditionnel. Le Conseil, irrité, déclare ce serment nul, mais en même temps, chose inouïe ! — les rebelles sont proclamés les sujets du roi. Quand la nouvelle des événements arrive à Londres, les Lords du commerce sont furieux et renvoient Philipps en Acadie. Ce dernier, revenu en toute hâte, se met à l’œuvre encore une fois. Le 2 septembre 1729, il annonce gravement aux autorités qu’il est parvenu à faire prêter le serment tant désiré et que la paix est enfin rétablie. C’est vrai et les Acadiens ont prêté le serment, mais lequel ? Tout simplement le serment conditionnel ; seulement la réserve habituelle de neutralité, etc., n’apparaît pas au document écrit. Que s’est-il passé ? Richard discute la chose et croit que le serment a été fait par écrit, mais que les Acadiens se sont contentés d’assurances verbales de la part de Philipps, au sujet de l’exemption qu’ils réclamaient. L’historien Haliburton dit que les conditions ont dû être écrites sur un papier facile à détacher et qu’on a fait disparaître. L’hypothèse de Haliburton nous semble la plus probable. S’il en était autrement, les Acadiens eussent manqué