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paisiblement sur leurs terres, ne voulant qu’un peu de cette liberté qui fait qu’on respire sur le sol natal !

Cornwallis n’osant mettre ses menaces à exécution, fait mine de leur donner la liberté de partir. Il exige seulement qu’ils sèment leurs terres avant de quitter… nouvelle hypocrisie en en attendant une autre. Le calme se rétablit temporairement. En 1750, il écrit en Angleterre qu’il espère voir arriver des colons, et qu’alors il exigera péremptoirement le serment, ce qui veut dire que si les Acadiens refusent de se rendre à ses ordres, ils seront chassés du pays. — Pourquoi donc ne les laisse-t-il pas s’en aller ? On n’est pas encore prêt à leur voler leurs biens. Un dernier article sera qu’il n’est pas permis de quitter sans un passe-port du gouverneur…

Quand on examine froidement tous ces faits, l’on est pris de pitié pour les publicistes qui cherchent encore aujourd’hui à pallier la faute des persécuteurs. L’un d’eux, le Dr Ganong, M. A., Ph. D., a publié dans les annales de la Société Royale du Canada de 1905, une étude sur l’histoire du Nouveau-Brunswick, où il explique à sa façon les causes qui ont amené la dispersion. D’autres avant lui avaient argué de « la raison d’État ». C’était une nécessité politique. Le nouveau docteur dit que la question n’est pas de savoir si cette mesure était nécessaire, mais si les auteurs l’avaient crue nécessaire. Ce dernier refuge ne vaut pas mieux que le premier. Quand on connaît les dispositions pacifiques de ce petit peuple, son respect aveugle du pouvoir, sa soumission si entière, sa patience sans bornes, les obstacles sans nombre que, pendant plus de 40 ans, l’on dresse sur sa route pour l’empêcher de partir, l’on se demande sur quoi le Dr Ganong s’appuie pour prouver sa « nécessité militaire ». C’est un véritable comble que de prêter le sentiment de la peur à des maîtres du calibre de Lawrence, ou à ses acolytes roués. Non, les Anglais n’avaient à craindre la révolte de personne en la Nouvelle-Écosse, lors des conflits même qui devaient aboutir à la Cession du Canada, ni celle des Acadiens dont on connaissait d’expérience le caractère inoffensif et qu’on avait d’ailleurs pris la peine de désarmer, ni celle des Indiens, leurs alliés ordinaires. Quant à ces derniers, c’était les Micmacs qui eussent pu être à redouter ; mais le gouverneur avait eu l’habileté de conclure un traité de paix avec le chef de la tribu habitant la côte orientale de la Nouvelle-Écosse, en 1753, deux ans avant de chasser les Acadiens de la Péninsule. (Arch. Can. de 1905, vol. I, p. 4). Les Anglais gouvernaient le pays depuis plus de 40 ans, ils s’étaient accrus en nombre, ils avaient eu le temps de se fortifier, les Français étaient occupés au Canada : que pouvaient, que devaient raisonnablement craindre les Anglais ? Le thème du Dr Ganong ne tient pas debout. C’est ce qui ressort, du reste, abondamment de l’ouvrage de Richard, que le nouveau philosophe anglais affecte d’ignorer, besogne plus commode infiniment que celle de lui répondre.