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V


Tout comme il a fait dans son introduction, Richard, en arrivant au chapitre où il va parler de Lawrence, l’auteur immédiat de la déportation, écrit ces singulières paroles : « Parmi les faits que m’a révélés le volume des archives, j’ai choisi ceux qui étaient plutôt défavorables aux Acadiens. » J’ai déjà fait observer combien ce procédé est peu rigoureux en matière historique. Sans le vouloir, pourtant, l’écrivain fait acte de diplomatie. L’exposé clair des événements, par un effet qu’on pourrait tout d’abord redouter, n’établit que plus fortement la futilité des torts qu’on reproche aux Acadiens. Toute la partie de l’ouvrage qui se rapporte à Lawrence est supérieurement traitée.

Un an avant le premier acte du drame final, le 1er août 1754, Lawrence écrit aux Lords du commerce que les Acadiens possèdent les plus belles terres de la Province, et que s’ils persistent à refuser de prêter serment d’allégeance, il vaut mieux les chasser du pays, quoiqu’il ne veuille pas entreprendre une pareille tâche, dit-il, sans le consentement des autorités. En répondant à Lawrence, les Lords du commerce feignant d’ignorer les obstacles qu’on a suscités aux Acadiens, pour les empêcher de partir, dès la première année de la Paix d’Utrecht, rappellent, néanmoins, la disposition du Traité. Ils regrettent leur manque de loyalisme ; ils désirent en référer à Sa Majesté. Cette lettre est à lire.

Un trait décèle les dispositions du gouverneur Lawrence. Cinq jours après cette lettre des Lords, qui ne décide rien, ou dont le silence décide de tout, il écrit au commandant du fort Pigiguit : « Vous n’avez pas à barguigner avec les Acadiens pour le paiement de ce qu’ils vous apportent, et dont vous avez besoin. Délivrez-leur des certificats qui leur permettent de venir à Halifax où ils seront payés ce qui sera jugé bon. S’ils s’obstinent, informez-les que la contrainte militaire les attend. » Partout ailleurs des ordres semblables sont expédiés. Un autre message, un peu plus tard, porte que nulle excuse ne doit être acceptée, et que si l’on n’apporte du bois de chauffage, les soldats démoliront les habitations pour s’en procurer. Naturellement ces pièces intéressantes sont indignes de figurer au volume des archives.

Partout les ordres donnés sont obéis. Les habitants de Pigiguit ayant le malheur de tarder un peu, le Conseil de Lawrence envoie un ordre à l’Abbé Daudin, missionnaire, et à cinq autres habitants de venir sur-le-champ expliquer leur conduite. Un détachement de soldats les accompagne. L’on se croirait en temps de guerre où les réquisitions sont forcées. Détenus pendant huit jours, les malheureux toutefois sont relâchés, sauf l’Abbé Daudin que l’on médite de chasser de la Province : Il a osé présenter des excuses ! Richard n’en trouve rien dans le volume Akins, mais une lettre de Murray, l’un des officiers dévoués de Lawrence, nous révèle que l’Abbé Daudin ignorait les instructions du gouverneur envoyées à Pigiguit, et que s’il les eut connues, il y eut obéi. Qui le croirait ? L’affaire de Pigiguit est l’un des actes d’insubordination sur les-