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quels on va s’appuyer pour justifier la déportation générale. Richard excelle dans toutes ces recherches. Il ne laisse rien échapper.

En dépit du mal que s’est donné le compilateur des archives d’Halifax, les deux seuls reproches imputés aux Acadiens et qu’on rencontre dans son volume, se réduisent aux suivants : En premier lieu le retard des habitants de Pigiguit à obéir aux injonctions de Lawrence, en second lieu celui que des soldats français étant venus du Canada pour induire les Acadiens de la frontière à se ranger de leur côté, quelques-uns ont cédé à l’invitation. Richard ajoutera à ces griefs celui tiré de la conduite de certain missionnaire du nom de Le Loutre, dont le rôle actif a été diversement apprécié.

D’abord l’acte d’insubordination, s’il est sérieux, n’est le fait que de particuliers et, tant de misères et de tracasseries incessantes ne l’ont-ils pas cent fois provoqué ? Est-il bien étonnant que l’on ait pensé une fois, au moins, à se tourner contre les autorités d’un pays où, depuis cinquante ans, l’on a été traité avec tant de mépris, où l’on a tant souffert ? Au surplus, la trahison invoquée n’est qu’un misérable prétexte. Quant à la conduite de l’abbé Le Loutre, Richard, avec un laisser aller et une candeur qui ne cadrent guère avec les règles de la critique, prétend que cet abbé a fourni le prétexte à la déportation, mais ses propres allégués le contredisent si absolument, et les autorités qu’il invoque sur ce point, après en avoir fait le procès sur d’autres, sont si discutables, que le missionnaire, loin d’apparaître comme un fauteur de troubles, semble plutôt devoir être considéré comme un patriote et un voyant. Plût au ciel que les Acadiens eussent eu plus de Le Loutre pour les gouverner !

Il serait trop long de raconter les mauvais traitements auxquels, d’ailleurs, les Acadiens, avec leurs admirables missionnaires, furent soumis. Il existe dans les archives canadiennes, aujourd’hui, des instructions qui en disent long sur le prosélytisme protestant des autorités anglaises. L’on peut assez bien se figurer la douce paix, le bonheur dont ils pouvaient jouir sous un homme tel que Lawrence, par exemple, dont les Anglais eux-mêmes ont tracé les touchantes vertus. « Lawrence, dit un document, est dédaigneux, hautain, sourd à tous les conseils et se conduit en tyran. Il n’a pas d’amis, il est méprisé par ses officiers, excepté ceux qui servent ses instincts d’oppresseur. Il est plein de bassesse, si la bassesse peut servir ses fins politiques ; il est flatteur consommé, servile envers les étrangers qui peuvent lui être utiles. C’est ainsi qu’il a fait son chemin. Cet individu est toujours prêt à détruire avec acharnement tous ceux qui pourraient lui faire obstacle. Toujours prêt à mépriser et à maltraiter ses inférieurs. Enfin, il a publiquement qualifié le Conseil de repaire de vilains et de banqueroutiers. » Pour achever une peinture si flatteuse, l’écrit ajoute que « Lawrence a fait passer en Angleterre le peuple pour rebelle… »

Or, ce document, écrit presque aussitôt après la déportation, et qui a été trouvé dans les papiers du Rév. Andrew Brown, auteur d’un manuscrit historique sur les Acadiens, ce document n’est ni plus ni moins qu’une requête signée par les citoyens de la ville d’Halifax, en 1759, et adressée à Londres. Il n’est pas dit sans doute à quel personnage elle est adressée, et, à cause de cela,