Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/129

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vertu et de l’honneur. Je ne souhaite pas d’en faire l’expérience. Cependant je ne fais pas difficulté de dire que, si je n’ai aucun penchant pour lui, les méthodes qu’on emploie pour me forcer de recevoir un homme tel que M Solmes, sont capables de m’en inspirer. Mettez à part un moment tous les préjugés, et comparez ces deux hommes du côté de la naissance, de l’éducation, de la personne, de l’esprit, et des manières ; et du côté même de la fortune, en y comprenant les reversions. Prenez la balance, ma sœur, pesez vous-même. Cependant j’offre toujours de me réduire au célibat, si l’on veut accepter ce parti. La disgrâce où je suis condamnée est un cruel tourment pour moi. Je voudrais pouvoir obliger tous mes amis ; mais la justice, l’honnêteté me permettent-elles d’épouser un homme qu’il m’est impossible de souffrir ? Si je ne me suis jamais opposée à la volonté de mon père, si j’ai toujours fait ma satisfaction d’obliger et d’obéir, jugez de la force de mon antipathie par ma douloureuse résistance. Ayez donc pitié de moi, ma très-chère Bella ! Ma sœur, mon amie, ma compagne, ma conseillère, et tout ce que vous étiez dans un tems plus heureux ! Soyez aujourd’hui l’avocate de votre très-affectionnée, Cl Harlove. à Miss Clary Harlove.

que ma conduite soit fort jolie ou non dans vos sages idées, je vous assure que je dirai mon opinion de la vôtre. Avec toute votre prudence, vous n’êtes qu’une petite folle, à qui l’amour fait tourner la tête. C’est ce qui paraît clairement dans vingt endroits de votre lettre. à l’égard de vos offres de célibat, c’est une chanson, à laquelle personne n’est disposé à se fier. C’est un de vos artifices pour éviter de vous soumettre à votre devoir et à la volonté des meilleurs parens du monde, tels que les vôtres ont toujours été pour vous… quoiqu’ils s’en voient aujourd’hui fort bien récompensés. Il est vrai que nous vous avions toujours crue d’un naturel doux et aimable. Mais pourquoi paroissiez-vous telle ? Vous n’aviez jamais été contrariée. On vous a toujours laissé faire vos propres volontés. Vous ne trouvez pas plutôt de l’opposition au désir de vous jeter entre les bras d’un vil libertin, que vous nous montrez ce que vous êtes. Il vous est impossible d’aimer M Solmes, voilà le prétexte ; ma sœur, ma sœur, la raison véritable, c’est que vous avez Lovelace au fond du cœur ; un misérable, détesté, justement détesté de toute la famille, et qui a trempé ses mains dans le sang de votre frère. Cependant vous voudriez le faire entrer dans notre alliance : dites, le voudriez-vous ? Je ne retiens pas mon impatience, de la seule supposition que j’aie pu avoir le moindre goût pour un homme de cette espèce. S’il a reçu autrefois, comme vous le prétendez, quelque encouragement de la part de notre famille, c’était avant que son misérable caractère fût connu. Les preuves qui ont fait une si forte impression sur nous en devaient faire autant sur vous, et n’y auraient pas manqué, si vous n’aviez pas été une petite folle, d’un tempérament trop avancé, comme tout le monde le reconnaît dans cette occasion. Bon dieu ! Quel étalage de beaux termes en faveur de ce misérable ! Sa naissance, son éducation, sa personne, son esprit, ses manières, son air, sa fortune, ses reversions, sont appelées au secours, pour grossir ce