Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sans notre consentement, vous pourriez écrire à quelqu’un, et recevoir de ses lettres. Nous savons trop bien que vous le pouvez et que vous l’avez fait. Notre honte et notre pitié n’en sont pas moindres. Vous offrez de renoncer au mariage. Nous souhaitons de vous voir mariée. Mais, parce que vous ne pouvez obtenir l’homme que votre cœur desire, vous rejetez celui que nous vous offrons. Oh, bien, miss, comme nous savons que, de manière ou d’autre, vous êtes en correspondance avec lui, ou du moins que vous y avez été aussi long-temps que vous l’avez pu ; et qu’il nous brave tous, et qu’il n’aurait pas cette audace, s’il n’était pas sûr de vous, en dépit de toute la famille, (ce qui n’est pas, comme vous le pouvez croire, une petite mortification pour nous) notre résolution est de ruiner ses desseins, et de triompher de lui plutôt que de souffrir qu’il triomphe de nous. C’est vous dire tout d’un seul mot. Ne comptez donc pas sur ma protection. Je ne veux point plaider pour vous, et c’en est assez de la part d’un oncle mécontent. Jules Harlove. p s. pour le reste, je m’en rapporte à mon frère Antonin. à M Antonin Harlove. Samedi, 11 mars. Mon très-honoré oncle, comme vous avez jugé à propos, en me présentant M Solmes, de me le recommander particulièrement sous le titre d’un de vos meilleurs amis, et de me demander pour lui tous les égards qu’il mérite par cette qualité, je vous supplie de lire, avec un peu de patience, quelques réflexions que je prends la liberté de vous offrir, entre mille dont je ne veux pas vous fatiguer. Je suis prévenue, dit-on, en faveur d’une autre personne. Ayez la bonté, monsieur, de considérer que, lorsque mon frère est revenu d’écosse, cette autre personne n’avait point été rejetée de la famille, et qu’on ne m’avait pas défendu de recevoir ses visites. Serois-je donc si coupable, de préférer une connaissance d’un an, à une connaissance de six semaines ? Je ne puis m’imaginer que, du côté de la naissance, de l’éducation et des qualités personnelles, on prétende qu’il y ait la moindre comparaison à faire entre les deux sujets. Mais j’ajouterai, avec votre permission, monsieur, qu’on n’aurait jamais pensé à l’un, s’il n’avait fait des offres qu’il me semble que la justice ne me permet pas plus de recevoir, qu’à lui de les proposer ; des offres, que mon père ne lui aurait jamais demandées, s’il ne les avait proposées lui-même. Mais on accuse l’un d’un grand nombre de défauts. L’autre est-il sans reproche ? La principale objection qu’on fait contre M Lovelace, et dont je ne prétends pas le justifier, regarde ses mœurs, qu’on suppose fort corrompues dans ses amours. Celles de l’autre ne le sont-elles pas dans ses haines, et dans ses amours aussi ? Pourrais-je dire avec autant de justice, puisque la différence n’est que dans l’objet, et que l’amour de l’argent est la racine de tous les maux. Mais, si l’on me croit prévenue, quelle est donc l’espérance de M Solmes ? Dans quelle vue persévère-t-il ? Que dois-je penser de l’homme qui souhaite de me voir à lui contre mon inclination ? Et n’est-ce pas une rigueur extrême, dans mes amis, d’exiger ma main pour un homme