Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/180

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de travers peut recevoir un meilleur tour, et n’est pas incapable de conviction : mais qui donnera un cœur à ceux qui n’en ont point ? Il n’y a que la grâce du ciel qui puisse changer un mauvais cœur, par une opération qui approche beaucoup du miracle. Ne devrait-on pas fuir un homme qu’on soupçonne seulement de ce vice ? à quoi pensent donc les parens, hélas ! à quoi pensent-ils, lorsque, poussant une fille au précipice, ils l’obligent de penser mieux qu’elle ne ferait d’un homme suspect, pour en éviter un autre qui lui est odieux ? Je vous ai dit que je le crois vindicatif. En vérité, j’ai douté quelquefois si sa persévérance, dans les soins qu’il me rend, ne méritait pas plutôt le nom d’obstination, depuis qu’il a reconnu combien il déplaît à mes parens. à la vérité, je lui ai vu depuis ce tems-là plus d’ardeur ; mais loin de leur faire sa cour, il prend plaisir à les tenir en alarme. Il apporte son désintéressement pour excuse ; (il ne me persuaderait pas aisément que c’est politesse) et cette raison est d’autant plus plausible, qu’il leur connaît le pouvoir de faire tourner à son avantage l’attention qu’il apporterait à leur plaire. Je conviens qu’il a lieu de croire (sans quoi il serait impossible de le souffrir) que les plus humbles soumissions seraient rejetées de sa part ; et je dois dire aussi que, pour m’obliger, il offre de faire les démarches d’une réconciliation, si je veux lui donner quelque espérance de succès. à l’égard de sa conduite à l’église, dimanche dernier, je ne compte pas beaucoup sur ce qu’il m’a dit pour sa justification, parce que je m’imagine que ses modestes intentions étoient revêtues d’une trop forte apparence d’orgueil. Chorey, qui n’est pas son ennemie, aurait-elle pû s’y méprendre ? Je ne lui crois point une aussi profonde connaissance du cœur humain, que quelques personnes se l’imaginent. Ne vous souvenez-vous pas combien il parut frappé d’une réflexion commune qu’il aurait trouvée dans le premier livre de morale ? Un jour qu’il se plaignait, avec un mêlange de menaces, des mauvais discours qu’on avait tenus contre lui, je lui dis " qu’il devait les mépriser, s’il était innocent ; et que, s’il ne l’était pas, la vengeance ne lavait pas la tache : qu’on ne s’était jamais avisé de faire une éponge d’une épée

qu’il était le maître, en se

corrigeant de l’erreur qu’un ennemi lui reprochait, de changer la haine de cet ennemi en amitié ; ce qui devait passer pour la plus noble de toutes les vengeances, malgré cet ennemi même, puisqu’un ennemi ne pouvait pas souhaiter de le voir corrigé des fautes dont il l’accusait ". L’intention, me dit-il, faisait la blessure. " comment cela, lui répondis-je, lorsqu’elle ne peut blesser sans l’application ? L’adversaire, ajoutai-je, ne fait que tenir l’épée. C’est vous-même qui vous en appliquez la pointe ; et pourquoi vous ressentir mortellement d’une malice qui peut servir à vous rendre meilleur pendant tout le cours de votre vie " ? Quelles peuvent être les connaissances d’un homme qui a paru fort étonné de ces observations ? Cependant il peut se faire qu’il prenne plaisir à la vengeance, et qu’il croie la même faute inexcusable dans un autre. Il ne serait pas le seul qui condamnât dans autrui ce qu’il se pardonne à lui-même. C’est après ces considérations, ma chère ; c’est après avoir reconnu combien la balance l’emporte d’un côté sur l’autre, que je vous ai dit, dans une de mes lettres. pour tout au monde, je ne voudrais pas avoir pour cet homme-là ce qu’on appelle de l’amour

et j’allais plus loin que