Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/199

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Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mon cœur était suspendu entre l’espérance et la crainte de voir ma mère ; pénétrée, d’ailleurs, de la douleur et de la confusion de lui avoir causé tant de chagrins. Je l’attendais en tremblant : mais j’aurais pu m’épargner ces agitations ; on ne lui a pas permis de monter. Ma tante a eu la bonté de revenir, mais accompagnée de ma sœur. Elle m’a pris la main. Elle m’a fait asseoir près d’elle. Je dois vous avouer, m’a-t-elle dit, que si je reviens pour la dernière fois, malgré le sentiment de votre père, c’est pour vous rendre un bon office, parce que je suis sérieusement alarmée des conséquences de votre obstination. Ensuite elle a recommencé à me mettre devant les yeux l’attente de tous mes amis, les richesses de M Solmes, qui sont bien au-dessus de ce qu’on s’est jamais imaginé, l’avantage des articles, la mauvaise réputation de M Lovelace, l’aversion que toute la famille a pour lui ; chaque circonstance revêtue des plus fortes couleurs, quoiqu’elles ne l’aient pas été plus que celles des mêmes peintures dans la bouche de ma mère : d’où je conclus que ma mère n’a rendu compte à personne de ce qui s’est passé entr’elle et moi, puisqu’autrement ma tante ne m’aurait pas répété la plupart des choses qui m’avoient déjà été représentées inutilement. Elle m’a dit que c’était percer le cœur de mon père, que de lui donner lieu de croire qu’il n’avait pas d’autorité sur ses enfans, particulièrement sur une fille qu’il avait toujours aimée jusqu’à l’adoration ; et qu’il n’y avait pas d’extrêmités, par conséquent, où cette excessive tendresse, changée en indignation, en haine, en fureur, ne fût capable de le porter. Là, joignant les mains, avec la plus pressante bonté, je vous conjure, ma chère nièce, pour moi, pour vous-même, pour tout ce qui vous est cher au monde, de surmonter une malheureuse prévention, de détourner les maux dont vous êtes menacée, et de faire le bonheur de tout le monde, en vous garantissant des plus fâcheuses disgrâces. Faut-il me jeter à vos genoux, ma très-chère Clary ? Oui, je m’y jetterai volontiers… et, dans l’ardeur de ce transport, elle s’y est jetée effectivement ; et moi avec elle, baissant la tête de confusion, la suppliant de se lever, jetant mes bras autour d’elle et mouillant son sein de mes larmes. ô ma chère tante, ma tante bien aimée ! Quels excès de bonté et de condescendance ! Levez-vous, hélas ! Levez-vous. Vous me déchirez le cœur, par des marques si incroyables de tendresse. Dites, ma très-chère nièce, dites que vous voulez obliger tous vos amis. Dites-le, je vous en conjure, si vous nous aimez. Hélas ! Comment vous promettre ce que je mourrais plutôt que d’exécuter ? Dites du moins, ma chère, que vous prendrez du temps pour y réfléchir ; que vous en prendrez pour raisonner avec vous-même. Donnez-nous du moins, quelque espérance. Que ce ne soit pas en vain que je vous presse et que je vous conjure à genoux. Elle ne quittait pas cette posture, et je gardais la mienne aussi devant elle. Quelle étrange situation ! Si j’étais capable d’un doute, ma chère