Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/238

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ses trois lettres et la copie de la mienne ; mais voici en substance ce que je lui écrivis hier. Je lui fais un reproche fort vif de m’avoir menacée, par votre moyen, de se procurer une explication avec M Solmes ou avec mon frère. Je lui dis " qu’il me croit apparemment d’humeur à tout souffrir ; qu’il ne lui suffit pas que je sois exposée aux violences continuelles de ma propre famille, et qu’il faut que je supporte aussi les siennes ; qu’il me paraît fort extraordinaire qu’un esprit violent menace de s’emporter à des témérités qui ne peuvent être justifiées, et qui m’intéressent d’ailleurs beaucoup moins que lui, si je ne fais pas quelque chose d’aussi téméraire, du moins par rapport à mon caractère et à mon sexe, pour le détourner de ses résolutions : je lui fais même entendre que, de quelque manière que je pense sur les malheurs qui arriveraient à mon occasion, il peut se trouver des personnes qui, dans la supposition qu’il soit capable de la témérité dont il menace M Solmes, ne regretteraient pas beaucoup de se voir délivrées de deux hommes dont la connaissance aurait causé toutes leurs disgrâces. " c’est parler naturellement, ma chère, et je m’imagine qu’il y donnera lui-même une explication encore plus nette. Je lui reproche son orgueil, à l’occasion des pas qu’il fait pour trouver mes lettres, et qu’il relève avec tant d’affectation. Je le raille sur les riches comparaisons d’espion et de voleur : " il n’a pas raison, lui dis-je, de trouver sa situation si dure, puisque, dans l’origine, il ne doit en accuser que ses mauvaises mœurs, et qu’au fond, le vice efface les distinctions, et ravale l’homme de qualité au niveau de la canaille . Ensuite, je lui déclare qu’il ne doit jamais attendre d’autre lettre de moi, qui puisse l’exposer à des fatigues si désagréables. " je ne le ménage pas plus sur les vœux et les protestations solemnelles, qui lui coûtent si peu dans l’occasion. Je lui dis " que ce langage fait d’autant moins d’impression sur moi, que c’est déclarer lui-même qu’il croit en avoir besoin pour suppléer aux défauts de son caractère ; que les actions sont les seules preuves que je connaisse, lorsqu’il faut juger des intentions, et que je sens de plus en plus la nécessité de rompre toute correspondance avec un homme dont il est impossible que mes amis approuvent jamais les soins, parce qu’il est incapable de le mériter : qu’ainsi, puisque sa naissance et son bien le mettront toujours en état, si la réputation de ses mœurs n’est pas un obstacle, de trouver une femme qui, avec une fortune au moins égale à la mienne, aura plus de conformité avec lui dans ses goûts et ses inclinations, je le prie, et je lui conseille de renoncer à moi ; d’autant plus que, pour le dire en passant, ses menaces et ses impolitesses à l’égard de mes amis, me donnent lieu de conclure qu’il entre plus de haine pour eux que de considération pour moi dans sa persévérance. " voilà, ma chère, la récompense que j’ai cru devoir accorder à tant de peines qu’il fait valoir. Je ne doute pas qu’il n’ait assez de pénétration pour observer qu’il est moins redevable de notre correspondance à mon estime qu’aux rigueurs que j’essuie dans ma famille. C’est précisément ce que je voudrais lui persuader. Plaisante divinité, qui exige, comme l’idole Molock, que la raison, le devoir et la discrétion soient sacrifiés sur ses autels ! L’opinion de votre mère est que mes amis se relâcheront. Fasse le ciel qu’