Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/26

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rable à mes yeux pour me faire trouver facilement un sujet d’offense dans son air et dans ses discours ; ou, ce qui revient au même, que je ne me souciais point assez de lui pour m’embarrasser de lui faire connaître mes sentimens par des apparences de chagrin ou de joie. Il avait été assez rusé pour me donner comme sans dessein, une instruction qui m’avait appris à me tenir sur mes gardes. Un jour, en conversation, il avait dit que lorsqu’un homme ne pouvait engager une femme à lui avouer qu’elle eût du goût pour lui, il avait une autre voie, plus sûre peut-être et plus utile à ses vues, qui était de la mettre en colère contre lui. Je suis interrompue par des raisons pressantes. Mais je reprendrai le même sujet à la première occasion.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

15 janvier. Voilà, ma chère, où j’en étais avec M Lovelace, lorsque mon frère arriva d’écosse. Aussi-tôt qu’on lui eut parlé des visites de M Lovelace, il déclara nettement et sans explication qu’il les désapprouvoit. En général, il trouvait de grands sujets de reproche dans son caractère. Mais bientôt, mesurant moins ses expressions, il prit la liberté de dire, en propres termes, qu’il avait peine à comprendre que ses oncles eussent été capables de proposer un homme de cette sorte pour l’une ou l’autre de ses sœurs : et se tournant en même temps vers mon père, il le remercia d’avoir évité de conclure jusqu’à son retour ; mais du ton, à mon avis, d’un supérieur qui loue un inférieur d’avoir rempli son devoir dans son absence. Il justifia son aversion invétérée, par l’opinion publique, et par la connaissance qu’il avait acquise de son caractère au collége. Il déclara qu’il l’avait toujours haï, qu’il le haïroit toujours, et qu’il ne le reconnaîtrait jamais pour son frère, ni moi pour sa sœur, si je l’épousois. Voici l’origine que j’ai entendue donner à cette antipathie de collége. M Lovelace s’est toujours fait remarquer par sa vivacité et son courage, et ne se distinguait pas moins, à ce qu’il semble, par la rapidité surprenante de ses progrès dans toutes les parties de la littérature. Aux heures de l’étude, il n’y avait pas d’activité égale à la sienne. Il paraît qu’on avait généralement cette idée de lui à l’université, et qu’elle lui avait fait un grand nombre d’amis entre les plus habiles de ses compagnons, tandis que ceux qui ne l’aimaient pas, le redoutaient, à cause de sa vivacité, qui le disposait trop facilement à les offenser, et du courage avec lequel il soutenait l’offense après l’avoir faite. Il se faisait par-là autant de partisans qu’il lui plaisait, parmi ceux qui n’étoient pas les plus estimés par leur conduite ; caractère, à tout prendre, qui n’est pas fort aimable. Mais celui de mon frère n’était pas plus heureux. Sa hauteur naturelle ne pouvait supporter une supériorité si visible. On n’est pas éloigné de la haine, pour ceux qu’on craint plus qu’on ne les aime. Comme il avait moins d’empire que l’autre sur ses passions, il s’exposait plus souvent à