Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/27

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ses railleries, qui étoient peut-être indécentes, de sorte qu’ils ne se rencontraient jamais sans se quereller ; et tout le monde, soit par crainte ou par amitié, prenant le parti de son adversaire, il essuya quantité de mortifications pendant le tems qu’ils passèrent au même collége. Ainsi, on ne doit pas trouver bien surprenant qu’un jeune homme, dont on ne vante pas la douceur, ait repris une ancienne antipathie, qui a jeté autrefois des racines si profondes. Il trouva ma sœur, qui n’attendait que l’occasion, prête à se joindre à lui dans ses ressentimens contre l’homme qu’il haïssoit. Elle désavoua hautement d’avoir jamais eu la moindre estime pour M Lovelace, " jamais aucun goût pour lui. Son bien devait être fort chargé. Livré au plaisir, comme il l’était, il était impossible qu’il ne fût pas abimé de dettes. Aussi n’avait-il point de maison, ni même d’équipage. Personne ne lui disputait de la vanité. La raison, par conséquent, était aisée à deviner ". Là-dessus elle se vanta sans ménagement de l’avoir refusé ; et mon frère lui en fit un sujet d’éloge. Ils se réunirent, dans toutes les occasions, pour le rabaisser ; et souvent ils cherchèrent à les faire naître. Leur animosité ramenait là toutes les conversations, si elles n’avoient pas commencé par un sujet si familier. Je ne m’embarrassais pas beaucoup de le justifier, lorsque je n’étais pas mêlée dans leurs réflexions. Je leur dis que je ne faisais pas assez de cas de lui pour causer le moindre différent dans la famille à son occasion ; et comme je supposais qu’il n’avait donné que trop de sujet à la mauvaise opinion qu’on avait de lui, je jugeais qu’il devait porter la peine de ses propres fautes. Quelquefois, à la vérité, lorsque leur chaleur me paroissait les emporter au-delà des bornes de la vraisemblance, je me suis crue obligée, par la justice, de dire un mot en sa faveur ; mais on me reprochait alors une prévention dont je ne voulais pas convenir : de sorte que, si je ne pouvais pas faire changer de sujet à la conversation, je me retirais à mon clavessin ou dans mon cabinet. Leurs manières pour lui, quoique très-froides, et même désobligeantes lorsqu’ils ne pouvaient éviter de le voir n’avoient rien encore d’absolument injurieux. Ils se flattaient d’engager mon père à lui défendre ses visites. Mais, comme il n’y avait rien dans sa conduite qui pût justifier ce traitement à l’égard d’un homme de sa naissance et de sa fortune, leurs espérances furent trompées. Alors ils s’adressèrent à moi. Je leur demandai quelle était mon autorité pour une démarche de cette nature dans la maison de mon père, sur-tout lorsque ma conduite tenait M Lovelace si éloigné de moi, qu’il ne paroissait pas que j’eusse plus de part à ses visites que le reste de la famille, à l’exception d’eux. Pour se venger, ils me dirent que c’était un rôle concerté entre lui et moi, et que nous nous entendions mieux, tous deux, que nous ne voulions qu’on le crût. à la fin, ils s’abandonnèrent tellement à leur passion, que tout d’un coup, au lieu de se retirer, comme ils y étoient accoutumés, lorsqu’ils le voyaient paroître, ils se jetèrent comme dans son chemin, avec le dessein formé de l’insulter. Vous vous imaginez bien que M Lovelace le prit très-mal. Cependant il se contenta de m’en faire des plaintes, en termes fort vifs à la vérité, et me faisant entendre que, sans la considération qu’il avait pour moi, le procédé de mon frère n’était pas supportable. Je fus très-fâchée du mérite que cet incident lui faisait près de moi dans ses propres idées,