Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/261

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voulu entendre M Solmes ; il m’en aurait dit de M Lovelace, qui auraient pu… et savez-vous, Betty, quelques-unes des choses qu’il m’aurait dites ? Non, miss ; mais je suppose que vous les apprendrez chez votre oncle, et peut-être vous en dira-t-on plus que vous n’en voudriez entendre. On me dira tout ce qu’on voudra, Betty ; mais je n’en serai pas moins déterminée contre M Solmes, dût-il m’en couter la vie. Recommandez-vous donc au ciel, m’a-t-elle répondu ; car si vous saviez de quoi vous êtes menacée… que fera-t-on, Betty ? Il n’y a pas d’apparence qu’on veuille me tuer. Que peuvent-ils donc faire ? Vous tuer, non. Mais vous ne sortirez jamais de-là qu’après avoir reconnu votre devoir. On vous retranchera le papier et les plumes, comme on l’aurait déjà fait ici, dans l’idée où l’on est que vous n’en faites pas un bon usage, si vous n’étiez pas si proche de votre départ. On ne vous permettra de voir personne. On vous ôtera toutes sortes de correspondances. Je ne vous dis pas qu’on veuille rien faire de plus. Quand je le saurais, il ne serait pas à propos de vous l’apprendre. Mais vous ne devez vous en prendre qu’à vous-même, puisque vous pouvez tout prévenir d’un seul mot. Et, s’il faut dire ce que je pense, un homme ne vaut-il pas un autre homme ? Un homme sage, sur-tout, ne vaut-il pas un libertin ? Fort bien, Betty, lui ai-je dit avec un soupir ; ton impertinence est fort inutile. Mais je vois qu’en effet, le ciel me destine à n’être pas heureuse. Cependant, je veux hasarder encore une lettre ; et tu la porteras, si tu n’aimes mieux t’attirer, pour toute ta vie, ma haine et mon indignation. Je me suis retirée dans mon cabinet, où, sans m’arrêter à la défense de mon oncle Harlove, je lui ai écrit quelques lignes, dans la vue d’obtenir du moins un délai, si mon départ est absolument résolu : et cela, ma chère, pour me mettre en état de suspendre l’entrevue que j’ai promise à M Lovelace ; car je trouve au fond de mon cœur des pressentimens qui m’effraient, et qui ne font qu’augmenter, sans que je sache pourquoi. Au-dessous de l’adresse, j’ai mis ces deux mots : de grâce, monsieur, ayez la bonté de lire ce billet. J’en joins ici la copie. " cette fois seulement, mon très-honoré oncle, faites que je sois entendue avec patience, et qu’on m’accorde ma prière. Je demande uniquement, que ce ne soit pas sitôt que jeudi prochain, qu’on me chasse de la maison. " pourquoi votre malheureuse nièce serait-elle forcée honteusement de partir, sans avoir le tems de se reconnaître ? Obtenez pour moi, monsieur, un délai de quinze jours. J’espère que, dans l’intervalle, les rigueurs de tout le monde pourront se relâcher. Il ne sera pas besoin que ma mère ferme sa porte, dans la crainte de voir une fille disgraciée ; je me garderai bien de me présenter devant elle ou devant mon père, sans leur permission. Quinze jours sont une faveur bien légère, si l’on n’est pas résolu de rejeter toutes mes demandes. Cependant elle est d’une importance extrême pour le repos de mon esprit, et vous ne sauriez obliger plus sensiblement une nièce aussi respectueuse qu’affligée. " Clarisse Harlove.