Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/265

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mal de cette facilité excessive : et la justice le demande aussi ; sans quoi, l’inégalité serait criante dans les loix mutuelles du commerce. Pardonnez mes graves réflexions. Cet étrange homme m’a furieusement piquée. Je vois que sa douceur n’était qu’un artifice. Le fond de son naturel est l’arrogance, et je ne lui trouve que trop de rapport avec ceux dont j’éprouve ici la dureté. Dans la disposition où je suis, je doute que je sois jamais capable de lui pardonner, puisque rien ne peut rendre son impatience excusable, après le soin que j’avais eu d’expliquer mes conditions. Moi, souffrir tout ce que je souffre à son occasion, et me voir traitée néanmoins comme si j’étais obligée de supporter ses insultes ! Mais prenez la peine de lire sa lettre : grand dieu ! Que faut-il que je devienne ? Où trouverai-je la force de soutenir un revers si terrible ? Sans cause, sans raison nouvelle qui puisse du moins adoucir l’amertume de mon cœur… j’écris sur un genou, l’autre plié dans la fange ; les pieds engourdis d’avoir erré toute la nuit au travers des plus épaisses rosées ; mes cheveux et mon linge humide ; à la première pointe du jour ; sans avoir le soleil pour témoin… puisse-t-il ne se lever jamais pour moi, s’il ne doit pas apporter quelque soulagement à mon cœur désespéré ! Ce que je souffre est proportionné à la joie de mes fausses espérances. Est-il donc vrai que vous touchiez au moment critique ? Quoi ! Cette raison même ne devait-elle pas me faire attendre une entrevue qui m’avait été promise ? Je puis écrire tout ce que j’ai dans l’esprit ! Non, non, il est impossible. Je n’écrirais pas la centième partie de mes idées, de mes tourmens et de mes craintes. ô sexe incertain ! Sexe ami du changement ! Mais se peut-il que Miss Clarisse… pardonnez, mademoiselle, au trouble d’un infortuné, qui ne sait ce qu’il écrit. Cependant je dois insister, j’insiste sur votre promesse. Vous devez avoir la bonté, ou de justifier mieux votre changement, ou de reconnaître qu’on a prévalu sur votre esprit par des raisons que vous ne me communiquez pas. C’est à celui que la promesse regarde, qu’appartient le droit d’en dispenser ; à moins qu’il ne soit survenu quelque nécessité apparente, qui ôte le pouvoir de la remplir. La première promesse que vous m’ayez jamais faite ! Une promesse à laquelle, peut-être, la mort et la vie sont attachées ! Car est-il donc certain que mon cœur soit capable de digérer le barbare traitement dont vous êtes menacée par rapport à moi ? vous préféreriez la mort à Solmes, (que mon ame est indignée d’une odieuse concurrence !) ô cher objet de mes affections, qu’est-ce que des paroles ? Et les paroles de qui ? De la plus adorable… mais de celle qui manque sur le champ à sa première promesse. Après vous l’avoir vu rompre si légèrement, comment pourrais-je me reposer sur une assurance qui sera combattue par des devoirs supposés, par une persécution plus enflammée que jamais, et par une haine ouvertement déclarée contre moi ? Si vous voulez prévenir les égaremens de mon désespoir, rendez-moi l’espérance que vous m’avez ravie. Renouvelez votre promesse : c’est mon sort qui touche véritablement à son point critique.