Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/277

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personne, je n’écrirai pas une lettre, et personne ne saura où je suis, sans son consentement. Qu’elle me place dans une chaumine ; je n’en sortirai pas, à moins que, sous quelque déguisement, ou comme votre femme de chambre, il me soit permis le soir de faire un tour de promenade avec vous : et je ne demande cette protection secrète que jusqu’à l’arrivée de M Morden , qui ne peut tarder long-temps. L’ouverture que vous me donnez, de porter une partie de mes habits au dépôt, me paraît dangereuse dans l’exécution, et je serai obligée de me réduire à mettre à part un peu de linge avec mes papiers. Depuis quelque temps Betty a jeté curieusement les yeux sur mes armoires, lorsque j’en ai tiré quelque chose en sa présence. Un jour, après avoir fait cette observation, je laissai exprès mes clés en descendant au jardin. à mon retour, je la surpris qui avait la main dessus, comme venant de s’en servir. Elle parut confondue de me voir rentrer sitôt. Je feignis de ne m’en être pas aperçue ; mais lorsqu’elle se fut retirée, je trouvai que mes habits n’étoient pas dans l’ordre que je connaissois. Je ne doutai pas que sa curiosité ne fût venue de plus loin ; et craignant qu’on n’abrégeât mes promenades, si je n’allais pas au-devant des soupçons, je me suis accoutumée depuis, entr’autres petites ruses, non-seulement à laisser mes clefs aux armoires, mais à me servir quelquefois de cette fille pour en tirer mes habits l’un après l’autre, sous prétexte d’en ôter la poussière, et d’empêcher que les fleurs ne se ternissent, ou seulement de me désennuyer, faute d’occupation plus sérieuse. Outre le plaisir, que les petits comme les grands prennent à voir des habits riches, je remarque que cet office

l’attache beaucoup ; comme si ses observations faisaient partie de son ministère ! C’est à la confiance qu’ils ont dans un espion si fidèle, et la certitude que je n’ai pas un seul confident dans la famille, parce que je n’ai recherché le secours de personne, quoique je sois aimée de tous les domestiques, que je crois devoir la liberté qu’on me laisse pour mes promenades. Peut-être que, ne m’ayant remarqué aucun mouvement vers le dehors, ils en concluent plus certainement que je me laisserai vaincre enfin par leurs persécutions. Autrement ils devraient penser qu’ils irritent assez ma patience, pour me faire chercher, dans quelque démarche téméraire, un remède à des traitemens si durs : et je demande pardon au ciel, si je me trompe ; mais je crains que mon frère et ma sœur n’en fussent pas fort affligés. S’il arrivait donc, contre toutes mes espérances, que cette fatale démarche devînt nécessaire, il faudrait me contenter de partir avec les habits que j’aurais sur moi. L’usage où je suis de m’habiller pour tout le jour, après mon déjeûner, préviendra toute défiance ; et le linge que je mettrai au dépôt, suivant votre conseil, ne saurait m’être inutile. N’admirez-vous pas jusqu’où s’étend mon attention, et combien je suis ingénieuse à trouver les moyens d’aveugler ma geolière, pour écarter les soupçons de ses maîtres ? J’éprouve que l’adversité donne de l’invention. Vous ne sauriez croire tout ce que j’ai mis en usage pour accoutumer mes surveillans à me voir souvent descendre au jardin et visiter ma volière. Tantôt j’ai besoin d’air, et je me trouve mieux aussi-tôt que je suis hors de ma chambre. Tantôt je me sens mélancolique ; et mes bantams, mes faisans, ou la cascade, ont le pouvoir de me divertir : les premiers, par leurs mouvemens animés, qui réveillent mes esprits ; la cascade plus pompeusement,