Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/290

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découvre. Ce récit ne demande pas d’autre ordre que celui des événemens. Toute la famille a été ce matin à l’église. Ils en ont ramené le docteur Lewin, après l’avoir fait inviter à venir dîner au château… peu de momens après son arrivée, le docteur m’a fait demander la permission de me voir dans mon appartement. Vous croyez sans peine qu’elle n’a point été refusée. Il est monté. Sa visite a duré près d’une heure : mais ce qui n’a pu manquer de me surprendre, il a pris soin d’éviter tout ce qui pouvait le conduire au sujet dont j’avais supposé qu’il était venu m’entretenir. Enfin, je lui ai demandé si l’on ne trouvait pas étrange que je ne parusse plus à l’église. Il m’a fait là-dessus un compliment fort civil ; mais il avait toujours eu pour règle, m’a-t-il dit, de ne pas entrer dans les affaires de famille, s’il n’y étoit appelé. Rien n’étant plus contraire à mon attente, je me suis imaginé que, dans l’opinion qu’on a de sa justice, on n’avait osé porter ma cause à son tribunal ; et je n’ai rien ajouté qui pût nous rappeler au même sujet. Lorsqu’on est venu l’avertir que le dîner était servi, il n’a pas marqué, par le moindre étonnement, qu’il fît attention que je ne descendais pas avec lui. C’est la première fois, depuis mon emprisonnement, que j’ai regretté de ne pas dîner en bas. En le conduisant jusqu’à l’escalier, une larme s’est ouvert un passage malgré moi. Il s’en est aperçu ; et son bon naturel le trahissant jusqu’à mouiller aussi ses yeux, il s’est hâté de descendre sans prononcer un seul mot ; dans la crainte, sans doute, de me faire connaître son attendrissement par l’altération de sa voix. J’ai prêté l’oreille assez soigneusement pour lui entendre louer non-seulement les bonnes qualités qu’il m’attribue, mais sur-tout la part que j’avais eue à notre conversation ; et j’ai supposé qu’ayant été prié de ne pas m’entretenir du sujet de mes peines, il voulait faire voir qu’il avait évité de toucher cet intéressant article. Je suis demeurée si mécontente, et tout à la fois si surprise de cette nouvelle méthode, que je ne me suis jamais trouvée dans le même embarras. Mais d’autres scènes étoient prêtes à l’augmenter. Ce jour devait être pour moi un jour d’événement mystérieux, et lié néanmoins avec l’avenir ; car je ne puis douter que sous ces voiles, on ne cache des vues fort importantes. Dans l’après-midi, tout le monde, à l’exception de mon frère et de ma sœur, est allé à l’église avec le docteur, qui a laissé des complimens pour moi. Je suis descendue au jardin. Mon frère et ma sœur, qui s’y promenaient aussi, m’ont observée assez long-temps, en affectant de se tenir sous mes yeux ; dans la vue, si je ne me trompe, de me rendre témoin de leur gaieté et de leur bonne intelligence. Enfin, ils sont entrés dans l’allée d’où j’étais prête à sortir, les mains l’un dans celle de l’autre, comme deux tendres amans. Votre serviteur, miss ; votre servante, monsieur. C’est tout ce qui s’est passé entre mon frère et moi. Ne trouvez-vous pas l’air un peu froid, Clary ? M’a demandé ma sœur, d’un ton assez doux, et s’arrêtant devant moi. Je me suis arrêtée aussi, et je lui ai rendu une profonde révérence pour la sienne, qui n’en étoit qu’une demie. Je ne m’en aperçois pas, ma sœur, lui ai-je répondu. Elle s’est remise à marcher. Je lui ai fait une autre révérence, et j’ai continué ma