Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/300

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et prenant mon éventail, que j’avais quitté ; voulez-vous que je vous donne un peu d’air ? Trève d’impertinence, Betty. Mais vous dites que toute la famille est avec lui : savez-vous si je dois paraître devant toute cette assemblée ? Je ne saurais vous dire, s’ils demeureront lorsque vous arriverez. Il m’a semblé qu’ils pensaient à se retirer quand j’ai reçu les ordres de M Solmes. Mais quelle réponse lui porterai-je de votre part ? Dites-lui que je ne puis descendre… attendez néanmoins… ce sera une affaire finie : dites que je descendrai… j’irai… je descendrai à l’instant… dites ce que vous voudrez, tout m’est égal. Mais rendez-moi mon éventail, et ne tardez pas à m’apporter un verre d’eau. Elle est descendue. Pendant tout le tems, je n’ai fait que me servir de mon éventail. J’étais toute en feu, et dans un combat terrible avec moi-même. à son retour, j’ai bu un grand verre d’eau. Enfin, perdant l’espérance de me composer mieux, je lui ai dit de marcher devant moi, et je l’ai suivie avec précipitation, les jambes si tremblantes, que, si je n’avais pas un peu pressé ma marche, je doute que j’eusse pu faire un pas. ô ma chère amie ! Quelle pauvre machine que le corps, lorsque l’ame est en désordre ! La salle, qu’on nomme mon parloir, a deux portes. Au moment que je suis entrée par l’une, mes amis sont sortis par l’autre, et j’ai aperçu la robe de ma sœur, qui sortait la dernière. Mon oncle Antonin s’était retiré aussi ; mais il n’a pas tardé à reparoître, comme vous allez l’entendre. Ils sont demeurés tous dans la salle voisine, qui n’est séparée de mon parloir que par une légère cloison. Ces deux pièces ne faisaient autrefois qu’une seule salle, qui a été divisée en faveur des deux sœurs, pour nous donner le moyen, à chacune, de recevoir librement nos visites. M Solmes s’est avancé vers moi, en se courbant jusqu’à terre. Sa confusion était visible dans chaque trait de son visage. Après une demi-douzaine de mademoiselle, dont le son était presque étouffé, il m’a dit, qu’il étoit très-fâché… qu’il avait une douleur extrême… que c’était un grand malheur pour lui… là il s’est arrêté, sans pouvoir trouver sur le champ le moyen d’achever sa phrase. Son embarras m’a donné un peu plus de présence d’esprit. La poltronnerie d’un adversaire relève notre courage ; j’en ai fait l’expérience dans cette occasion ; quoiqu’au fond, peut-être, le nouveau brave soit encore plus poltron que l’autre. Je me suis tournée vers une des chaises qui étoient devant le feu, et je me suis assise, en me rafraîchissant de mon éventail. à présent, que je me le rappelle, il me semble que c’était prendre un air assez ridicule. J’en aurais du mépris pour moi-même, si j’étais capable de quelque bon sentiment pour l’homme qui étoit devant moi ; mais que dire dans le cas d’une si sincère aversion ? Il a toussé cinq ou six fois, qui ont produit une phrase complette : je devais, a-t-il dit, m’appercevoir de sa confusion. Cette phrase en a produit deux ou trois autres. Je m’imagine qu’il avait reçu des leçons de ma tante ; car son trouble, a-t-il repris, ne venait que de son respect pour une personne… aussi parfaite assurément… et dans cette disposition, il espérait, il espérait, il espéroit… (il a espéré trois fois, avant que d’expliquer de quoi il étoit