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altérée par sa cruelle maladie, dont les atteintes ont commencé à la fleur de son âge, avec une violence capable de faire perdre à la plus active de toutes les ames, telle qu’était la sienne, tout exercice de ses facultés ; et cela, suivant les apparences, pour le reste de sa vie. Une si triste situation a comme resserré dans lui-même la vivacité de ses esprits, et leur a fait tourner leur pointe contre son propre repos : sans compter qu’une prospérité extraordinaire ne fait qu’ajouter à son impatience ; car ceux, je m’imagine, qui ont le plus de ces biens terrestres en partage, doivent regretter qu’il y en ait quelqu’un qui leur manque.

Mais mon frère ! Quelle excuse peut-on donner à son humeur brusque et hautaine ? Je suis fâchée d’avoir sujet de le dire, mais c’est réellement, ma chère, un jeune homme de mauvais naturel. Il traite quelquefois ma mère… en vérité, il n’est pas respectueux. La fortune ne lui laissant rien à désirer, il a tous les vices de l’ âge, mêlés avec l’ambition de la jeunesse, et il ne jouit de rien que de sa fierté ; j’allais dire aussi de son mauvais cœur. Encore une fois, ma chère, je fortifie votre déjoût pour quelques personnes de notre famille. Je me souviens d’un tems, chère amie, où il a peut-être dépendu de vous de le former à votre gré. Que n’êtes vous devenue ma belle-sœur ? C’eût été alors que, dans une sœur ; j’aurais trouvé une véritable amie. Mais il n’est pas étonnant qu’il n’ait plus de tendresse pour vous, qui preniez plaisir à le piquer au vif ; et cela, trouvez bon que je le dise, avec un dédain trop assorti à sa hauteur ; sa passion qui n’aurait pas manqué en lui d’une chaleur digne de son objet, l’en aurait peut-être rendu digne lui-même.

Mais finissons sur cet article. J’exécuterai mon dessein dans ma première lettre, que je me propose d’écrire immédiatement après le déjeûner. Je remets celle-ci au messager que vous avez envoyé demander des nouvelles de notre santé, avec une inquiétude de mon silence, qui est un témoignage ordinaire de votre amitié.


LETTRE VI.

Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

20 janvier.

Revenons à l’histoire de ce qui se passe ici. La guérison de mon frère étant fort avancée, quoique vous puissiez compter que ses ressentimens sont plutôt échauffés que refroidis par sa petite disgrace, mes amis (du moins mon père et mes oncles, si mon frère et ma sœur ne veulent pas être du nombre) commencent à croire que j’ai été traitée durement. Ma mère a eu la bonté de me le dire, depuis que ma dernière lettre est partie.

Cependant je les crois tous persuadés que je reçois des lettres de M. Lovelace. Mais, comme ils ont appris que milord M. est plus porté à soutenir son neveu qu’à le blâmer, ils le redoutent si fort, que loin de me faire des questions là-dessus, ils paroissent fermer les yeux sur le seul moyen d’adoucir un esprit violent qu’ils ont si vivement irrité ; car il insiste sur une satisfaction de la part de mes oncles ; et ne manquant point d’adresse, il regarde peut être cette méthode comme la plus sûre, pour se rétablir avec quelque avantage dans notre famille. Ma tante Hervey a déjà demandé à ma mère, s’il ne serait pas convenable d’engager mon frère à faire un tour dans ses terres d’Yorkshire, où il avait dessein