Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/35

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d’aller auparavant, et à s’y arrêter jusqu’à la fin de ces troubles.

Mais rien ne paraît si éloigné de ses intentions. Il commence à faire entendre qu’il ne sera jamais tranquille ou satisfait, s’il ne me voit mariée ; et jugeant que M. Symmes ni M. Mullins ne seront pas acceptés, il a renouvellé la proposition de M. Wyerley, en faveur, dit-il, de la passion extrême que cet homme a pour moi. J’ai paru peu sensible à ce compliment. Mais, hier seulement, il parla d’un autre, qui s’est adressé à lui par une lettre, et qui fait des offres très-considérables. C’est M. Solmes, le riche Solmes, comme vous savez qu’on l’appelle. Cependant ce beau nom ne s’est attiré l’attention de personne.

S’il voit qu’aucun de ses plans de mariage ne réussisse, il pense, m’a-t-on dit, à me proposer de le suivre en écosse, sous prétexte, comme j’entends, d’y établir dans sa maison le même ordre qui est ici dans la nôtre. Mais le dessein de ma mère est de s’y opposer, pour suivre son propre intérêt ; parce qu’ayant la bonté de me croire utile à la soulager un peu des soins domestiques, dans lesquels vous savez que ma sœur n’entre pas, elle dit que tout lui retomberait sur les bras dans mon absence. Si d’autres raisons l’empêchaient de s’y opposer, je le ferais moi-même ; car je ne suis pas tentée, je vous assure, de devenir la femme de charge de mon frère ; et je suis persuadée que, si je consentais à ce voyage, il me traiterait moins comme sa sœur, que comme sa servante ; d’autant moins bien peut-être, que je suis sa sœur. Et si M. Lovelace allait se mettre dans la fantaisie de me suivre, le mal deviendrait encore pire.

Mais j’ai prié ma mère, qui appréhende beaucoup les visites de M. Lovelace, sur-tout à la veille du départ de mon frère, qui commence à se trouver assez bien pour être bientôt en état de partir, de me procurer la permission d’aller passer chez vous une quinzaine de jours. Croyez-vous, ma chère, que votre mère le trouve bon ? Je n’ose pas demander, dans ces circonstances, la liberté d’aller à ma ménagerie . Je craindrais qu’on ne me soupçonnât d’aspirer à l’indépendance à laquelle je suis autorisée par le testament de mon grand-père ; et ce désir ne manquerait pas d’être expliqué comme une marque de faveur pour l’homme qu’on honore à présent d’une si grande aversion. Au fond, si je pouvais être aussi tranquille et aussi heureuse ici que je l’ai toujours été, je défierais et cet homme et tout son sexe, et je ne regretterais jamais d’avoir abandonné la disposition de ma fortune entre les mains de mon père.

Ma mère vient de me causer beaucoup de joie, en m’apprenant que ma demande est accordée. Tout le monde l’approuve, à l’exception de mon frère ; mais on lui a déclaré qu’il ne doit pas s’attendre à donner toujours la loi. On m’a fait avertir de descendre dans la grande salle, où mes deux oncles et ma tante Hervey se trouvent actuellement, pour y recevoir ma permission dans les formes. Vous savez, ma chère, qu’il règne un grand ton de cérémonie parmi nous. Mais jamais famille ne fut plus unie dans ses différentes branches. Nos oncles nous regardent comme leurs propres enfans. Ils déclarent que c’est en notre faveur qu’ils vivent dans le célibat ; de sorte qu’ils sont consultés sur tout ce qui peut nous toucher. Ainsi, dans un tems où ils apprennent que M. Lovelace est déterminé à nous rendre une visite, qu’il appelle d’amitié, mais qui ne finira pas, je crois, dans de si bons termes, il n’est