Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/346

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réflexions. Cependant, que puis-je faire ? Je crois que la première chose que je ferai demain au matin, sera d’aller reprendre ma lettre. Cependant que puis-je faire ? De peur qu’il ne leur prenne envie d’avancer un malheureux jour qui ne viendra que trop tôt, je veux commencer à feindre que je me trouve fort mal. Hélas ! Je n’aurai pas besoin d’artifice ; je suis en vérité toute abattue, et d’une foiblesse qui m’attirerait de la pitié dans d’autres tems. J’espère porter cette lettre pour vous, demain au matin, en allant reprendre l’autre ; si je la reprends, comme tous mes pressentimens et toutes mes réflexions m’y portent. Quoiqu’il soit près de deux heures, je suis tentée de descendre encore une fois, pour reprendre ma lettre. Les portes du jardin se ferment toujours à onze heures ; mais je puis ouvrir facilement les fenêtres de la grande salle, qui donnent de plein-pied sur le parterre. Cependant, d’où me vient cet excès d’inquiétude ? Quand ma lettre partirait, le pis-aller serait de savoir quelles seront les idées de M Lovelace. La demeure de ses tantes n’est pas si proche, qu’il puisse recevoir immédiatement une réponse. Je puis faire difficulté de partir sans avoir reçu leur invitation. Je puis insister sur la nécessité d’être accompagnée d’une de ses cousines, comme je lui ai marqué que je le désirais ; et peut-être ne lui sera-t-il pas aisé de me procurer cette faveur. Mille choses peuvent arriver, qui me fourniront du moins un prétexte pour quelque délai. Pourquoi donc ce trouble ? N’est-il pas probable aussi que j’aurai demain le temps de reprendre ma lettre, avant qu’il s’attende à la trouver ? Il avoue néanmoins que, depuis plus de quinze jours, il passe les trois quarts de son tems autour de nos murs, sous divers déguisemens ; sans compter que, lorsqu’il n’est pas lui-même de garde, comme il le dit, un valet de confiance ne cesse pas de la faire à sa place. Mais que penser de ces étranges pressentimens ! Je pourrais, si vous me le conseillez, faire prendre le chemin de Londres au carrosse qu’il m’amènera, et suivre le plan sur lequel je vous ai demandé votre opinion. Ce serait vous épargner la peine de me procurer une voiture, et vous mettre à couvert aussi du soupçon d’avoir contribué à ma fuite. J’attends votre avis. J’attends votre approbation. Il n’est pas besoin de vous faire considérer que le temps presse. Adieu, chère amie, adieu.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi, 7 d’avril, à 7 heures du matin. Ma tante Hervey, qui aime la promenade du matin, était au jardin, accompagnée de Betty, lorsque je me suis levée. La fatigue de tant de nuits, que j’ai passées sans dormir, a rendu aujourd’ui mon sommeil fort pesant. Ainsi, ne pouvant éviter les yeux de ma tante, que j’avais aperçue par ma fenêtre, je n’ai pas eu la hardiesse de m’avancer plus loin que ma voliere, pour mettre au dépôt ma lettre de cette nuit. Je rentre chez moi, sans avoir pu trouver le moyen d’aller reprendre l’autre, comme j’y suis toujours résolue. Mais j’espère encore qu’après la promenade de ma tante, il ne sera pas trop tard. Il étoit