Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/347

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deux heures passées, lorsque je me suis mise au lit. J’ai compté les minutes jusqu’à cinq. Ensuite, étant tombée dans un profond sommeil, qui a duré plus d’une heure, je me suis trouvé l’imagination remplie, à mon réveil, des horreurs du songe le plus noir et le plus funeste. Quoique je n’aie d’un songe que l’idée qu’on en doit avoir, je veux vous en faire le récit. " il m’a semblé que mon frère, mon oncle Antonin et M Solmes, avoient formé un complot pour se défaire de M Lovelace, qui, l’ayant découvert, et se persuadant que j’y avois trempé, avait tourné contre moi toute sa rage. Je l’ai cru voir, l’épée à la main, qui les forçait de quitter l’Angleterre. Ensuite s’étant saisi de moi, il m’a menée dans un cimetière : et là, sans être touché de mes pleurs, de mes prières et de mes protestations d’innocence, il m’a plongé un poignard dans le cœur ; il m’a jetée dans une profonde fosse qui se trouvait ouverte, entre deux ou trois carcasses à demi-pourries : il s’est servi de ses propres mains pour me couvrir de fange ; et, de ses pieds, pour raffermir la terre en marchant sur moi. " je me suis réveillée dans une terreur inexprimable, baignée d’une sueur froide, tremblante, et souffrant toutes les douleurs d’une mortelle agonie. Ces affreuses images ne sont pas encore sorties de ma mémoire. Mais pourquoi m’arrêter à des maux imaginaires, lorsque j’en ai de si réels à combattre ? Ce songe est venu, sans doute, du trouble de mon imagination, dans laquelle il s’est fait un ridicule mêlange de mes inquiétudes et de mes craintes. à huit heures. Ce Lovelace, ma chère, a déjà la lettre. Quelle étrange diligence ! Je souhaite que ses intentions soient louables, puisqu’elles lui coûtent tant de peine ; et j’avoue même que je serais fâchée qu’il en prît moins. Cependant je le voudrais à cent lieues d’ici. Quel avantage ne lui ai-je pas donné sur moi ! à présent que ma lettre est hors de mes mains, je sens croître mon inquiétude et mon regret. J’avais douté jusqu’à ce moment si elle devait partir ; il me semble maintenant que j’aurais dû la reprendre. Me reste-t-il une autre voie, néanmoins, pour me garantir de Solmes ? Mais quelle imprudence n’aura-t-on pas à me reprocher, si je m’engage dans les démarches où cette lettre doit me conduire ? Ma plus chère amie, dites-moi si vous me croyez coupable. Mais non ; si vous croyez que je le sois, ne me le dites pas. En me supposant condamnée de tout le monde, je trouverai de la consolation à m’imaginer que je ne le suis pas de vous. C’est la première fois que je vous ai priée de me flatter. N’est-ce pas une marque que je suis coupable, et que la vérité m’épouvante ? Ah ! Dites-moi… mais non, ne me dites pas si vous me jugez coupable. Vendredi à 11 heures. Ma tante m’a rendu une nouvelle visite. Elle m’a déclaré d’abord que mes amis me croient toujours en correspondance avec M Lovelace ; ce qui est visible, m’a-t-elle dit, par les discours qui lui échappent, et qui font assez connaître qu’il est informé de plusieurs circonstances qui se passent dans le sein de la famille, souvent même au moment qu’elles sont arrivées.