Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/357

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forcée à des démarches si éloignées de mes principes, et si nuisibles à ma réputation. Je lui marque que je me rendrai mardi au jardin ; que si Betty est avec moi, je la chargerai d’une commission pour l’écarter ; que vers quatre heures il pourra me faire connaître, par quelque signal, qu’il est à la porte, dont j’irai tirer aussitôt le verrou ; j’abandonne le reste à ses soins. " j’ajoute, en finissant, " que les soupçons paroissant augmenter de la part de ma famille, je lui conseille d’envoyer, ou de venir le plus souvent qu’il lui sera possible, jusqu’à mardi au matin, vers dix ou onze heures ; parce que je ne désespère point encore de quelque révolution qui peut rendre toutes ces mesures inutiles. " ô chère Miss Howe ! Quelle horrible nécessité que celle qui peut me forcer à des préparatifs de cette nature ! Mais il est à présent trop tard. Comment ! Trop tard ? Que signifie cette étrange réflexion ? Hélas ! Si j’étais menacée de finir quelque jour par le repentir, qu’il serait terrible de pouvoir dire qu’il est trop tard ! Samedi, à dix heures. M Solmes est ici. Il doit dîner avec sa nouvelle famille. Betty m’apprend qu’il emploie déjà ce terme. à mon retour du jardin, il a tenté encore une fois de se jeter dans mon passage ; mais je suis remontée brusquement à ma prison pour l’éviter. J’ai eu la curiosité, pendant ma promenade, d’aller voir si ma lettre était partie. Je ne dirai pas que, si je l’eusse trouvée, mon intention fût de la reprendre ; car il me parait toujours certain que je n’ai pu faire autrement. Cependant, quel nom donner à ce caprice ? En voyant qu’elle avait disparu, j’ai commencé à regretter, comme hier au matin, qu’elle fût partie ; sans autre raison, je crois, que parce qu’elle n’est plus en mon pouvoir. Que ce Lovelace est diligent ! Il dit lui-même que cet endroit lui tient lieu de maison ; et je le crois aussi. Il parle, comme vous le verrez dans ma dernière lettre, de quatre déguisemens, dont il change d’un jour à l’autre. Je suis moins surprise qu’il n’ait point encore été remarqué par quelqu’un de nos fermiers ; car il serait impossible autrement que l’éclat de sa figure ne l’eût pas trahi. On peut dire aussi que, toutes les terres voisines du parc en étant comme une dépendance, et n’ayant point de sentier, du moins vers le jardin et le taillis, il y a peu d’endroits moins fréquentés. D’un autre côté, je crois m’être aperçue qu’on veille peu sur mes promenades au jardin, et sur les visites que je rends à ma volière. Leur Joseph Léman , qui paraît être chargé de ce soin, n’a garde de se rendre incommode par ses observations. D’ailleurs, on se repose apparemment, comme ma tante Hervey me l’a fait entendre, sur la mauvaise opinion qu’on s’est efforcé de me faire prendre du caractère de M Lovelace, qu’on croit capable de m’inspirer de justes défiances. Ajoutez que les égards qu’on me connaît pour ma réputation, paroissent une autre sûreté. Sans des raisons si fortes, on ne m’aurait jamais traitée avec tant de rigueur, tandis qu’on m’a laissé les occasions que j’ai presque toujours eues de me dérober par la fuite, si j’avais été disposée à m’en servir : et leur confiance aux deux derniers motifs aurait été bien fondée, s’ils avoient gardé le moindre ménagement dans leur conduite. Mais peut-être ne se souviennent-