Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/383

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Ne me pressez pas davantage, M Lovelace , je vous en conjure à mon tour. Vous m’avez donné vous-même une ouverture sur laquelle je veux m’expliquer avec plus de liberté que la prudence ne me le permettrait, peut-être, dans une autre occasion. Je suis convaincue que mercredi prochain (si j’avais plus de tems, je vous en apporterais les raisons) n’est pas le jour que nous avons tous deux à redouter ; et si je trouve ensuite dans mes amis la même détermination en faveur de M Solmes , je me procurerai quelque moyen de vous rencontrer avec Miss Howe , qui n’est pas votre ennemie. Après la célébration, je ferai mon devoir d’une démarche qui me paraîtrait criminelle aujourd’hui, parce que l’autorité de mon père n’est pas liée par des droits encore plus sacrés. Très-chère Clarisse… en vérité, M Lovelace, si vous me disputez quelque chose à présent, si cette déclaration, plus favorable que je ne me l’étais proposée, ne vous tranquillise pas tout-à-fait, je ne saurai ce que je dois penser de votre reconnaissance et de votre générosité. Le cas, mademoiselle, n’admet point cette alternative. Je suis pénétré de reconnaissance ; je ne puis vous exprimer combien je m’estimerais heureux de la charmante espérance que vous me donnez, s’il n’était certain qu’en demeurant ici plus long-temps, vous serez mercredi la femme d’un autre homme. Songez, très-chère Clarisse ! quel surcroît de douleur cette espérance même est capable de me causer, lorsqu’elle est envisagée dans ce jour. Soyez sûr que je souffrirais plutôt la mort, que de me voir à M Solmes

si vous voulez

que je prenne confiance à votre honneur, pourquoi douteriez-vous du mien ? Ce n’est pas de votre honneur, mademoiselle, c’est de votre pouvoir que je doute : jamais, jamais vous n’aurez la même occasion… très-chère Clarisse , permettez… ; et sans attendre ma réponse, il s’efforçait encore de me tirer après lui. Où m’entraînez-vous, monsieur ? Quittez-moi sur-le-champ. Cherchez-vous à me retenir pour rendre mon retour dangereux, ou pour me le faire croire impossible ? Je suis très-irritée. Laissez-moi tout-à-l’heure, si vous voulez que je juge favorablement de vos intentions. Mon bonheur, mademoiselle, pour ce monde et pour l’autre, et la sûreté de votre implacable famille dépendent de cet instant. Allez, monsieur, je me repose de la sûreté de mes amis sur la providence et sur les loix. Vous ne m’engagerez point par des menaces dans une témérité que mon cœur condamne. Quoi ! Pour assurer ce que vous nommez votre bonheur, je consentirais à la ruine de tout mon repos ? Ah ! Chère Clarisse , vous me faites perdre des momens précieux, dans le temps que la perspective du bonheur commence à s’ouvrir pour nous. Le chemin est libre ; il l’est encore, mais un instant peut le fermer. Quels sont vos doutes ? Je me dévoue à d’éternels supplices, si vos moindres volontés ne font ma loi suprême. Toute ma famille vous attend : votre parole y est engagée. Mercredi prochain… pensez à ce jour fatal ! Eh ! Que prétends-je par mes instances, que de vous faire prendre la voie la plus propre à vous réconcilier avec tout ce qu’il y a d’estimable parmi vos proches ?