Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/40

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quelle proposition, pensai-je en moi-même, ce traitement est-il le prélude ? Serait-il encore question de M. Vyerley ? Enfin, de qui va-t-on m’entretenir ? Et comme les hautes comparaisons se présentent plutôt que les basses à l’esprit d’une jeune personne, lorsque son amour propre y est intéressé, que ce soit qui l’on voudra, pensai-je encore : c’est faire l’amour comme les anglais le firent pour l’héritière d’écosse, au temps d’édouard Vi. Mais pouvais-je soupçonner qu’il fût question de Solmes ?

Je ne croyais pas, leur dis-je, avoir donné occasion à tant de rigueur. J’espérais de conserver toujours un juste sentiment de reconnaissance pour leurs faveurs, joint à celui de mon devoir en qualité de fille et de nièce. Mais j’étais si surprise, ajoutai-je, d’un accueil si extraordinaire et si imprévu, que j’espérais de la bonté de mon père et de ma mère la permission de me retirer, pour me remettre un peu de mon embarras.

Personne ne s’y opposant, je fis la révérence et je sortis. Mon frère et ma sœur demeurèrent fort contens, je m’imagine, et ne manquèrent pas de se féliciter mutuellement d’avoir engagé les autres à commencer avec moi d’un ton si sévère.

Je montai dans ma chambre ; et là, sans autre témoin que ma fidèle Hannah , je déplorai les apparences trop certaines de la nouvelle proposition à laquelle il était clair que je devais m’attendre. à peine m’étais-je un peu remise, qu’on me fit avertir de descendre pour le thé. Je fis demander par ma femme de chambre la liberté de m’en dispenser. Mais, sur un second ordre, je descendis, en prenant le meilleur visage qu’il me fût possible, et j’eus à me purger d’une nouvelle accusation. Mon frère, tant la mauvaise volonté est subtile en inventions, fit entendre, par des expressions également claires et choquantes, qu’il attribuait le désir que j’avais eu de me dispenser de descendre, au chagrin d’avoir entendu parler librement d’une certaine personne pour laquelle il me supposait prévenue. Peut-être, il me serait permis, lui dis-je, de vous faire une réponse digne de cette réflexion. Mais je m’en garderai bien. Si je ne vous trouve pas les sentimens d’un frère, vous ne me trouverez pas moins ceux d’une sœur. Le joli petit air de modération ! Dit tout bas ma sœur, en regardant mon frère, et levant la lèvre avec mépris. Lui, d’un air impérieux, me dit de mériter son affection, et que je serais toujours sûre de l’obtenir. Lorsque nous fûmes assis, ma mère, avec cette grace admirable que vous lui connaissez, s’étendit sur l’amitié qui doit régner entre un frère et des sœurs, et blâma doucement ma sœur et mon frère d’avoir conçu trop légèrement du chagrin à mon occasion. Elle ajouta, dans une vue que je crois un peu politique, qu’elle répondait de ma soumission aux volontés de mon père. Alors, dit mon père, tout iroit à merveille . L’expression de mon frère fut : alors nous l’aimerions tous à la folie . Ma sœur dit : nous l’aimerions comme auparavant. Et mes oncles : elle serait l’idole de notre cœur . Mais hélas ! Suis-je donc exposée à la perte de tant de biens ? Voilà, ma chère, la réception qu’on m’a faite à mon retour. M. Solmes parut avant la fin du déjeûner. Mon oncle Antonin me le présenta comme un de ses amis particuliers. Mon oncle Jules, à peu près dans les mêmes termes. Mon père me dit : sachez, Clarisse, que M. Solmes est mon ami. Comme il s’assit près de moi, ma mère le regarda beaucoup, et me regardait ensuite d’un air qui me semblait attendri. Mes yeux se tournoient