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aussi vers elle, pour implorer sa pitié ; et si je lançais un coup d’œil sur lui, c’était avec un dégoût qui approchait beaucoup de l’effroi. Pendant ce tems-là, mon frère et ma sœur l’accablaient de civilités. Tant de caresses et d’attentions pour un homme de cette espèce ! Mais je n’ajouterai aujourd’hui que mes humbles remerciemens à votre chère et respectable mère, à qui je marquerai, par une lettre particulière, la vive reconnaissance que je lui dois pour toutes ses bontés.



LETTRE VIII


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

24 février.

L’affaire est poussée avec une furieuse chaleur. Ce Solmes, je crois, couche ici. Il ne cesse de leur faire sa cour, et sa faveur augmente à chaque moment. Des termes si avantageux ! Un si riche établissement ! On n’entend pas d’autre cri.

Ô ma chère amie ! Fasse le ciel que je n’aie pas sujet de déplorer la faute d’une famille aussi riche que la mienne. Je puis vous le dire, avec d’autant moins de réserve, que nous avons joint cent fois nos regrets, vous pour une mère, moi pour un père et des oncles, auxquels il n’y a point d’autre reproche à faire que leur excès d’estime pour ce fantôme de bien qu’on appelle richesse.

Jusqu’à présent, je suis comme livrée à mon frère, qui prétend avoir pour moi autant de tendresse que jamais. Vous pouvez compter que je me suis expliquée fort sincèrement avec lui. Mais il affecte de prendre un ton railleur, et de ne pouvoir se persuader qu’une fille aussi discrette et aussi attachée à son devoir que sa sœur Clary, soit jamais capable de désobliger tous ses amis.

En vérité, je tremble de mille choses que l’avenir présente à mon imagination ; car il est évident pour moi qu’ils sont étrangement déterminés.

Mon père et ma mère évitent adroitement de me donner l’occasion de les entretenir en particulier. Ils ne me demandent point mon approbation, parce qu’ils feignent apparemment de supposer que j’entre dans leurs vues. Cependant c’est auprès d’eux que j’espère de prévaloir, ou je n’ai cette espérance sur personne. Ils n’ont pas d’intérêt, comme mon frère et ma sœur, à forcer mes inclinations. Cette raison me rend moins empressée à leur parler. Je réserve toute ma force pour une audience que je veux obtenir de mon père, s’il a la bonté de m’entendre avec patience. Qu’il est difficile, ma chère, de n’être pas du sentiment de ceux à qui le devoir et l’inclination nous font souhaiter de ne pas déplaire !

J’ai déjà essuyé le choc de trois visites particulières de ce Solmes, outre ma part à ses visites générales ; et je trouve qu’il est impossible que je puisse jamais le supporter. Il n’a qu’une portion de sens fort commune, sans aucune teinture de savoir. Il n’entend que la valeur des terres, la manière d’augmenter son revenu, et tout ce qui appartient au ménage et à l’agriculture. Mais je suis devenue comme stupide. Ils ont commencé avec moi d’une manière si cruelle, que la force me manque pour prendre le parti de la résistance.

Avant mon retour, ils se sont efforcés de faire entrer dans leurs vues la bonne Madame Norton , tant ils sont résolus de l’emporter ; et son opinion n’ayant point été de leur goût, on lui a dit qu’elle feroit