Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/414

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d’avoir répondu à ses lettres, vous étiez la seule qui pût veiller à la sûreté d’une famille telle que la vôtre, lorsque son héros s’était engagé si follement dans une querelle qui le mettait lui-même en danger. Excepté votre mère, qu’on tient à la chaîne, en nommeriez-vous un seul qui ait le sens commun ? Pardon encore une fois, ma chère… j’entends arriver ce stupide mortel, votre oncle Antonin ; un petit esprit, le plus entêté et le plus décisif… il vint hier, d’un air bouffi, soufflant, s’agitant ; et jusqu’à l’arrivée de ma mère, il fut un quart-d’heure à frapper du pied dans la salle. Elle était à sa toilette. Ces veuves sont aussi empesées que les vieux garçons. Pour tout au monde, elle ne voudrait pas le voir en déshabillé. Que peut signifier cette affectation ? Le motif qui amenait M Antonin Harlove était de l’exciter contre vous, et de vomir devant elle une partie de la rage où les jette votre fuite. Vous en jugerez par l’événement. Le bizarre cerveau voulut entretenir ma mère à part. Je ne suis point accoutumée à ces exceptions dans toutes les visites qu’elle reçoit. Ils s’enfermèrent soigneusement, la clé tournée sur eux, fort près l’un de l’autre ; car, en prêtant l’oreille, je ne pus les entendre distinctement, quoiqu’ils parussent tous deux pleins de leur sujet. La pensée me vint plus d’une fois de leur faire ouvrir la porte. Si j’avais pu compter sur ma modération, j’aurais demandé pourquoi il ne m’était pas permis d’entrer. Mais je craignis qu’après en avoir obtenu la permission, je ne fusse capable d’oublier que la maison était à ma mère. J’aurais proposé sans doute de chasser ce vieux démon par les épaules. Venir dans la maison d’autrui, pour se livrer à son emportement ! Pour accabler d’injures ma chère, mon innocente amie ! Et ma mère y prêter une longue attention ! Tous deux apparemment pour se justifier ; l’un, d’avoir contribué au malheur de ma chère amie ; l’autre, de lui avoir refusé un asile passager, qui aurait pu produire une réconciliation que son cœur vertueux lui faisait désirer, et pour laquelle ma mère, avec l’amitié qu’elle a toujours eue pour vous, devait se faire un honneur d’employer sa médiation ! Comment aurais-je conservé de la patience ? L’événement, comme j’ai dit, m’apprit encore mieux quel avait été le motif de cette visite. Aussi-tôt que le vieux masque fut sorti (vous devez me permettre tout, ma chère), les premières apparences, du côté de ma mère, furent un air de réserve, dans le goût des Harloves, qui, sur quelques petits traits de mon ressentiment, fut suivi d’une rigoureuse défense d’entretenir le moindre commerce avec vous. Ce prélude amena des explications qui ne furent pas des plus agréables. Je demandai à ma mère s’il m’était défendu de m’occuper de vous dans mes songes ; car, la nuit et le jour, ma chère, vous m’êtes également présente. Quand vos motifs n’auraient pas été tels que je les connais, l’effet que cette défense a produit sur moi me disposerait à vous passer votre correspondance avec Lovelace. Mon amitié en est augmentée, s’il est possible ; et je me sens plus d’ardeur que jamais pour l’entretien de notre commerce. Mais je trouve dans mon cœur un motif encore plus louable. Je me croirais digne du dernier mépris, si j’étais capable d’abandonner dans sa disgrâce une amie telle que vous. Je mourrais plutôt… aussi l’ai-je déclaré à ma mère. Je l’ai priée de ne pas m’observer dans mes