Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/416

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tre trompée de l’autre… qu’on me nomme sur la terre une personne de votre âge, qui, dans les circonstances où je vous ai vue, ait résisté si long-temps, d’un côté contre la violence, et de l’autre contre la séduction ; je lui pardonne tout le reste. Vous jugez avec raison que toutes vos connaissances ne s’entretiennent que de vous. Quelques-uns allèguent, à la vérité, contre vous, les admirables distinctions de votre caractère ; mais personne n’excuse et ne peut excuser votre père et vos oncles. Tout le monde paraît informé des motifs de votre frère et de votre sœur. On ne doute pas que le but de leurs cruelles attaques n’ait été de vous engager dans quelque résolution extrême, quoique avec peu d’espérance de succès. Ils savaient que, si vous rentriez en grâce, l’affection suspendue en reprendrait plus de force, et que vos aimables qualités, vos talens extraordinaires, vous feraient triompher de toutes leurs ruses. Aujourd’hui, j’apprends qu’ils jouissent de leur malignité. Votre père est furieux, et ne parle que de violence. C’est contre lui-même assurément qu’il devrait tourner sa rage. Toute votre famille vous accuse de l’avoir jouée avec un profond artifice, et paraît supposer que vous n’êtes occupée à présent qu’à vous applaudir du succès. Ils affectent de publier tous, que l’épreuve du mercredi devait être la dernière. Votre mère avoue qu’on aurait pris avantage de votre soumission si vous vous étiez rendue ; mais elle prétend que, si vous étiez demeurée inflexible, on aurait abandonné le plan, et reçu l’offre que vous faisiez de renoncer à Lovelace. S’y fie qui voudra. Ils ne laissent pas de convenir que le ministre devait être présent ; que M Solmes se serait tenu à deux pas, prêt à recueillir le fruit de ses services ; et que votre père aurait commencé par l’essai de son autorité, pour vous faire signer les articles : autant d’inventions romanesques qui me paroissent sorties de la tête insensée de votre frère. Il y a beaucoup d’apparence que s’il eût été capable, lui et Bella, de se prêter à votre réconciliation, c’eût été par toute autre voie que celle dont ils avoient fait si long-temps leur étude. à l’égard de leurs premiers mouvemens, lorsqu’ils eurent reçu la nouvelle de votre fuite, vous vous les imaginerez mieux que je ne puis vous les représenter. Il paraît que votre tante Hervey fut la première qui se rendit au cabinet de verdure, pour vous apprendre que la visite de votre chambre était finie. Betty la suivit immédiatement ; et ne vous y trouvant point, elles prirent vers la cascade, où vous aviez fait entendre que vous aviez dessein d’aller. En retournant du côté de la porte, elles rencontrèrent un domestique (on ne le nomme point, quoiqu’il y ait beaucoup d’apparence que c’était Joseph Léman) qui revenait en courant vers le château, armé d’un grand pieu, et comme hors d’haleine. Il leur dit qu’il avait poursuivi long-temps M Lovelace, et qu’il vous avait vue partir avec lui. Si ce domestique n’était autre que Léman, et s’il avait été chargé du double emploi de les tromper, et de vous tromper vous-même, quelle idée faudrait-il prendre du misérable avec qui vous êtes ? Fuyez, ma chère, si ce soupçon est confirmé pour vous ; hâtez-vous de fuir, n’importe où, n’importe avec qui : ou, si vous ne pouvez fuir, mariez-vous. Il est clair que lorsque votre tante et tous vos amis reçurent l’alarme,