Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’elle ? Aurai-je la foiblesse de m’entendre dire qu’elle me méprisera, si je m’estime plus que ce méprisable Solmes ? Dois-je supporter aussi qu’elle m’interdise toutes les ardeurs de ma passion ? Lui jurer de la fidélité, c’est lui faire connaître que j’en doute moi-même, puisque j’ai besoin de me lier par des sermens. Maudit tour qu’elle donne à toutes ses idées ! Sa censure est la même aujourd’hui qu’auparavant. être en mon pouvoir, n’y être pas, elle n’y met aucune différence. Ainsi mes pauvres sermens sont étouffés, avant qu’ils osent se présenter sur mes lèvres : et que diable un amant peut-il dire à sa maîtresse, s’il ne lui est permis ni de mentir ni de jurer ? J’ai eu recours à quelques petites ruses qui ne m’ont pas mal réussi. Lorsqu’elle m’a pressé un peu de la quitter, je lui ai fait une demande fort humble, sur un point qu’elle ne pouvait me refuser ; et j’ai affecté une reconnaissance aussi vive, que s’il eût été question d’une faveur de la plus haute importance. C’était de me promettre, comme elle l’avait déjà fait, que jamais elle ne serait la femme d’un autre homme, tandis que je n’aurais point d’autre engagement, et que je ne lui donnerais aucun juste sujet de plainte. Promesse inutile, comme tu vois, puisqu’à chaque moment elle peut trouver des prétextes pour se plaindre, et qu’elle demeure seule juge de l’offense. Mais c’était lui montrer combien il y a de justice et de raison dans mes espérances, et lui marquer en même temps que je ne pensais point à la tromper. Aussi ne se fit-elle pas presser. Elle me demanda quelle sûreté je désirois. Sa parole, lui dis-je ; sa seule parole. Elle me la donna. Mais je lui dis que cette promesse avait besoin d’un sceau ; et, sans attendre son consentement, qu’elle n’aurait pas manqué de me refuser, je la scellai sur ses lèvres. Tu me croira, si tu veux Belford ; mais je te jure que c’est la première fois que je me suis échappé à cette hardiesse, et qu’une liberté si simple, prise avec autant de modestie que si j’étais vierge moi-même (afin qu’une autre fois elle croie n’avoir rien à redouter), me parut mille fois plus délicieuse que tout ce que j’ai jamais gouté de plaisir avec les autres femmes. Ainsi le respect, la crainte, l’idée du péril et de la défense, sont le principal prix d’une faveur. Je jouai fort bien le rôle de frère, lundi au soir, devant l’hôtesse de Saint-Albans. Je demandai pardon à ma chère sœur de l’avoir emmenée contre son attente et sans aucuns préparatifs. Je parlai de la joie que son retour allait causer à mon père, à ma mère, à tous nos amis ; et je pris tant de plaisir à m’étendre sur les circonstances, que, d’un regard, qui me pénétra jusqu’au fond de l’ame, elle me fit connaître que j’étais allé trop loin. Je ne manquai pas d’excuses, lorsque je me trouvai seul avec elle. Mais il me fut impossible de découvrir si mes affaires en étoient devenues pires ou meilleures. Tiens, Belford, je suis de trop bonne foi. Ma victoire, et la joie que j’ai de me trouver presqu’en possession de mon trésor, me dévoilent le cœur, et le tiennent comme à découvert. C’est ce diable de sexe, qu’on ne peut guérir de sa dissimulation. Si je pouvais engager ma belle à parler aussi naturellement que moi… mais il faut que j’apprenne d’elle l’art d’être plus réservé. Elle ne doit pas être bien pourvue d’argent ; mais elle a trop de fierté pour en recevoir de moi. Je voudrais la conduire à Londres (à Londres, cher ami, s’il est possible, et je crois que tu m’entends assez), pour lui