Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/437

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ses regards baissés, son silence, accompagné d’un tremblement de lèvres, et l’éclat redoublé de son teint, m’ont appris éloquemment que l’offense n’était pas mortelle ! Charmante créature ! Ai-je dit en moi-même (garde-toi, Belford, de découvrir mon triomphe à d’autres personnes de ce sexe), en suis-je donc si tôt à ce point ? Suis-je déjà maître de la destinée de Clarisse Harlove ? Suis-je déjà cet homme réformé que je devais être avant que de recevoir le moindre encouragement ? Est-ce ainsi que plus vous me connaissez, moins vous trouvez de raisons de prendre du goût pour moi ? Et comment l’art entre-t-il dans un esprit si céleste ? Me bannir, insister si rigoureusement sur mon absence, dans la vue de m’approcher plus près de vous et de rendre apparemment le plaisir plus cher ! Vos petites ruses justifient merveilleusement les miennes, et m’excitent à déployer sur vous la fécondité de mon génie. Mais permettez-moi de vous dire, adorable fille, qu’en supposant même que vos désirs soient quelque jour remplis, vous me devez compte auparavant de la répugnance que vous avez eue à partir avec moi, dans une crise, où votre départ était nécessaire pour éviter un engagement forcé avec un misérable que vous devez haïr, si vous rendez plus de justice à votre mérite qu’au mien. Je suis accoutumé, n’en doutez pas, aux préférences d’une infinité de femmes qui ne sont pas au-dessous de vous pour le rang, quoique je n’en connaisse point dont le mérite soit égal au vôtre. Deviendrais-je le mari d’une femme qui m’a donné lieu de douter du degré que j’occupe dans son estime ? Non, mon très-cher amour. J’ai tant de respect pour vos saintes loix, que je ne puis souffrir qu’elles soient violées par vous-même. D’ailleurs ne croyez pas que votre silence et votre rougeur suffisent pour m’expliquer vos intentions. Je ne veux pas non plus qu’il me reste de l’inquiétude sur vos motifs, c’est-à-dire, du doute si c’est amour ou nécessité qui vous inspire cette condescendance. Sur ces principes, Belford, quel autre parti avais-je à prendre que d’expliquer son silence comme une marque de mécontentement ? Je lui ai demandé pardon d’une hardiesse dont tout me portait à la croire offensée. Je lui ai promis qu’à l’avenir mon respect serait inviolable pour ses volontés, et que je lui prouverais par toute ma conduite qu’un véritable amour craint toujours de déplaire et d’offenser. Et qu’a-t-elle pu répondre ? Je m’imagine, Belford, que c’est ta demande. Répondre ? Ma foi, elle a paru chagrine, déconcertée, piquée, incertaine, autant que j’en ai pu juger, si sa colère devait tomber sur elle-même ou sur moi. Cependant elle s’est tournée, comme pour cacher une larme, qui lui échappait malgré elle : elle a poussé un soupir, divisé en trois ou quatre parties ; chacune avec la force qu’il fallait pour se faire entendre, mais en s’efforçant néanmoins de l’étouffer : et sortant enfin, elle m’a laissé maître du champ de bataille. Ne me parle point de politesse. Ne me parle point de générosité. Ne me parle point de compassion. Les forces ne sont-elles pas égales ? L’avantage n’est-il pas même de son côté ? Ne m’a-t-elle pas fait douter de son amour ? N’a-t-elle pas pris l’officieuse peine de me déclarer que sa haine pour Solmes ne venait d’aucune considération pour moi ? Et que dois-je penser du chagrin qu’elle ressent de se voir hors de ses atteintes, ou, ce qui revient au même, de s’être rendue à la porte du jardin ?