Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/471

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de ma terre et de ma part des effets, d’une manière qui peut leur être désagréable, quoique je n’en aie pas la disposition absolue. Cette considération pourra m’attirer quelques égards, lorsque leur première chaleur sera refroidie, et qu’ils ne douteront point de mon indépendance. Adorable raisonnement ! Il pouvait me protester que l’assurance que je lui avais déjà donnée comblait tous ses désirs. C’était plus qu’il ne pouvait demander. Quelle félicité d’avoir une femme dont la générosité et l’honneur faisaient le fondement de son repos ! Et si le ciel, à son entrée dans le monde, lui en eût fait trouver une de ce caractère, il aurait toujours eu de l’attachement pour la vertu. Mais il espérait que le passé même tournerait à son avantage, parce que, dans cette supposition, ses parens l’ayant toujours pressé de se marier, il aurait manqué le bonheur qu’il avait devant les yeux ; et, comme il n’avait pas été aussi méchant que ses ennemis se plaisaient à le publier, il se flattait que le mérite du repentir vaudrait celui de l’innocence. Je lui ai dit que je comptais donc sur son consentement pour ce qu’il paroissait approuver, et que je me croyais sûre de son départ. Ensuite je lui ai demandé, d’un air ouvert, ce qu’il pensait réellement de ma situation, et quel conseil il me donnerait dans le calme de son esprit. Il devait juger, lui ai-je dit, que je n’étais pas peu embarrassée ; Londres était un lieu tout-à-fait étranger pour moi. J’étais sans guide, sans protection. Lui-même, il devait me permettre de lui dire qu’il lui manquait bien des choses, sinon pour la connaissance, du moins pour la pratique de quantité de bienséances, qui me paroissaient indispensables dans le caractère d’un homme de naissance et d’éducation. Il se regarde, autant que j’ai pu l’entrevoir, comme un homme d’une politesse achevée ; et son amour-propre est blessé qu’on en juge autrement. J’en suis bien fâché, mademoiselle, m’a-t-il répondu d’un air froid. Un homme d’éducation, un homme poli, souffrez que je le dise, vous paraît plus rare qu’à toutes les femmes que j’ai connues jusqu’aujourd’hui. C’est votre malheur comme le mien, M Lovelace. Je suis persuadée qu’avec un peu de discernement il n’y a point de femme qui, vous connaissant, comme je fais à présent (j’avais dessein de mortifier un orgueil qui mérite de l’être), ne juge, comme moi, que votre politesse n’est ni régulière ni constante. Elle n’a point l’air d’une habitude. Elle s’exerce par accès et par saillies, qui n’ont pas leur source en vous-même. Vous avez besoin d’y être rappelé. Ciel ! Ciel ! Que je suis à plaindre ! Il ne s’est défendu qu’avec cet air ironique de pitié pour lui-même, au travers duquel j’ai vu facilement qu’il était à demi-fâché. J’ai continué : en vérité, monsieur, vous n’êtes point un homme aussi accompli qu’on devait l’attendre de vos talens, et des facilités que vous avez eues pour les cultiver. Vous n’êtes qu’un novice (c’est un terme qu’il avait employé dans une de nos conversations précédentes) sur mille choses louables qui ont dû faire l’objet de votre étude et de votre ambition. Je n’aurais pas si tôt cessé de lui parler avec cette franchise, parce qu’après m’en avoir donné l’occasion, il m’avait paru traiter assez légèrement un point que j’ai toujours trouvé très-grave ; mais il m’a interrompu : mademoiselle, épargnez-moi. Mon regret est extrême d’avoir vécu