Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/488

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tomberais d’admiration, si tu savais la moitié seulement de mes prévoyances. Je veux que tu en juges par un exemple. J’ai déjà eu la bonté d’envoyer un catalogue de livres, que je fais acheter pour le cabinet de ma charmante ; la plupart, de la seconde main, afin qu’ils ne passent pas pour un meuble inutile ; et tu sais que les dames de cette maison ne sont pas mal versées dans la lecture. Mais je me garde bien de trop promettre à ma belle. Il faut laisser quelque chose aux soins de la veuve, mon ancienne amie, qui m’a secondé à merveille dans une infinité d’autres entreprises, et qui se croirait offensée, si je paroissais me défier de son habileté.



Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

mercredi, 19 avril. Il m’est venu des lumières, qu’il est important de vous communiquer. Votre frère, ayant appris que vous n’êtes pas mariée, a pris la résolution de découvrir votre retraite, et de vous faire enlever. Un de ses amis, capitaine de vaisseau, entreprend de vous prendre à bord, et de faire voile avec vous vers Hull ou vers Leith, pour vous conduire dans une des maisons de M James Harlove. Ils ont l’esprit bien méchant ; car, en dépit de toutes vos vertus, ils jugent que vous avez passé les bornes de l’honneur. Mais s’ils peuvent s’assurer, après l’enlèvement, que vous soyez encore fille, ils vous tiendront sous une bonne garde jusqu’à l’arrivée de M Solmes. En même tems, pour donner de l’occupation à M Lovelace, ils parlent de le poursuivre en justice, et de faire revivre quelque vieux crime, qu’ils croient capable de le conduire au supplice, ou du moins de lui faire abandonner le pays. Ces nouvelles sont très-récentes. Miss Arabelle les a dites en confidence, et d’un air de triomphe, à Miss Loyd, qui est à présent sa favorite, quoiqu’aussi remplie que jamais d’admiration pour vous. Miss Loyd, dans la crainte des malheurs qui peuvent suivre une entreprise de cette nature, m’a fait ce récit, et m’a permis de vous en informer secrètement. Cependant ni elle ni moi, nous ne serions peut-être pas fâchées que M Lovelace fût pendu par les bonnes voies, c’est-à-dire, ma chère, si vous n’y mettiez pas d’opposition. Mais nous ne pouvons supporter que le chef d’ œuvre de la nature soit ballotté par deux esprits violens, et beaucoup moins, que vous soyez saisie et bientôt exposée au brutal traitement d’une troupe de misérables qui n’ont point d’entrailles. Si vous pouvez engager M Lovelace à se modérer, je suis d’avis que vous lui découvriez tout, mais sans nommer Miss Loyd. Peut-être son vil agent est-il dans le secret, et ne tardera-t-il point à l’en instruire. Je laisse à votre discrétion le ménagement d’une affaire si délicate. Ma plus grande inquiétude est que ce furieux projet, si l’on a la témérité de l’entreprendre, ne serve à lui donner sur vous plus d’empire que jamais. Comme il doit vous convaincre qu’il n’y a point d’espérance de réconciliation, je souhaiterais que vous fussiez mariée, pour quelque crime que votre Lovelace doive être poursuivi, à l’exception de l’assassinat et du viol. Hannah est pénétrée de reconnaissance pour votre présent. Elle vous