Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/515

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m’imagine, ma chère, que je trouverais de l’excès dans vos délicatesses et vos scrupules. En le prenant au mot, vous auriez acquis sur lui le pouvoir que je lui vois à présent sur vous. Il n’est pas besoin de vous dire qu’une femme qui est tombée dans le piége où vous êtes, doit se soumettre à quantité de mortifications. Mais, à votre place, avec la vivacité que vous me connaissez, je vous assure que dans un quart-d’heure, qui serait tout le temps que je voudrais accorder aux délicatesses, je verrais clair jusqu’au fond. Ses intentions doivent être bonnes ou mauvaises : sont-elles mauvaises ? Vous ne sauriez en être assurée trop tôt : si c’est heureusement le contraire, n’est-ce pas la modestie de sa femme qu’il se plaît à tourmenter ? Il me semble que j’éviterais aussi toutes les récriminations, qui ne sont capables que d’aigrir, et tous les reproches qui ont rapport à l’ancienne querelle des mœurs ; sur-tout lorsque vous êtes assez heureuse pour n’avoir pas l’occasion d’en parler par expérience. J’avoue qu’il y a quelque satisfaction pour une belle ame à se déclarer contre le vice : mais si cette attaque est hors de saison, et si le vicieux paraît disposé à se corriger, elle servira moins à faciliter sa réformation, qu’à l’endurcir ou à le jeter dans l’hypocrisie. Le peu de cas qu’il a fait du sage projet de votre frère, me plaît comme à vous. Pauvre James Harlove ! Cette tête manquée s’avise donc de former des complots et de prétendre à la méchanceté, tandis qu’elle en fait un de ses chefs d’accusation contre Lovelace ? Un méchant, qui est homme d’esprit, mérite, à mon gré, d’être pendu tout de suite, et s’il vous plaît, sans cérémonie : mais un imbécille, qui se mêle de méchanceté, doit avoir d’abord les os cassés sur la roue ; sauf d’être pendu après, si vous le jugez à propos. Je trouve que Lovelace a peint M James en peu de traits. Fâchez-vous, si vous le voulez ; mais je suis sûre que cette pauvre espèce que quelques-uns nomment votre frère, s’applaudissant d’être parvenu à vous faire quitter la maison de votre père, et à n’avoir plus à craindre que de vous voir indépendante de lui dans la vôtre, se croit égal à tout ce qu’il y a de rare au monde, et prétend combattre Lovelace avec ses propres armes. Ne vous souvenez-vous pas de son triomphe, tel que vous me l’avez dépeint vous-même sur le récit de votre tante, lorsqu’il s’enflait encore des applaudissemens de l’insolente Betty Barnes ? Je n’attends rien de votre lettre à Madame Hervey, et j’espère que Lovelace ne saura jamais ce qu’elle contient. Chacune des vôtres me fait juger qu’il se ressent, autant qu’il l’ose, du peu de confiance que vous avez pour lui. Je ne m’en ressentirais pas moins, si j’étais à sa place ; du moins, si mon cœur me rendait témoignage que je méritasse d’être mieux traitée. N’ayez pas d’inquiétude pour vos habits, si vous pensez à vous mettre sous la protection des dames de sa famille. Elles savent dans quels termes vous êtes avec vos proches ; et la cruauté d’autrui ne refroidit pas l’affection qu’elles ont pour vous. à l’égard de l’argent, pourquoi vous obstinez-vous à rendre mes offres inutiles ? Je sais que vous ne demanderez pas la possession de votre terre ; mais donnez-lui le droit de faire cette demande pour vous. Je ne vois pas de meilleur parti.