Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/524

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en renonçant à lui, et si mes amis me le faisaient entendre, ils verraient bientôt que je ne lui serais jamais rien ; car j’ai la vanité de croire mon ame supérieure à la sienne. Vous direz que ma raison s’égare. Mais, après avoir reçu de ma tante la défense de lui écrire, après avoir appris à désespérer de ma réconciliation, quel moyen de conserver ma liberté d’esprit ? Et vous-même, ma chère, vous devez vous ressentir de mes agitations passionnées. Misérable que je suis, d’avoir cherché volontairement cette fatale entrevue, et de m’être ôté le pouvoir d’attendre l’assemblée générale de mes amis ! Je serais libre aujourd’hui de mes anciennes craintes ; et qui sait quand mes inquiétudes présentes doivent finir ? Délivrée de l’un et l’autre homme, je me verrais peut-être à présent chez ma tante Hervey, ou chez mon oncle Antonin ; attendant le retour de M Morden, qui aurait apporté du remède à toutes les divisions. Mon intention était assurément d’attendre. Cependant sais-je quel nom je porterais aujourd’hui ? Aurois-je été capable de résister aux condescendances, aux supplications d’un père à genoux ; du moins s’il l’avait été lui-même de garder un peu de modération avec moi ? Ma tante assure néanmoins qu’il se serait relâché si j’étais demeurée ferme. Peut-être aurait-il été touché de mon humilité, avant que de s’abaisser jusqu’à se mettre à genoux devant moi. La bonté avec laquelle il se proposait de me recevoir aurait pu croître en ma faveur. Mais que la résolution où il étoit, de céder à la fin, justifie mes amis, du moins à leurs propres yeux ! Que cette résolution me condamne ! Ah ! Pourquoi les avis de ma tante, (je me les rappelle à présent) étoient-ils si réservés et si obscurs ? Aussi, mon dessein étoit de la revoir après l’entrevue ; et peut-être alors se serait-elle expliquée. ô l’artificieux, le dangereux Lovelace ! Cependant je suis obligée de le dire encore, c’est moi qui dois porter tout le blâme de la funeste entrevue. Mais loin, loin de moi, toute vaine récrimination ! Loin, dis-je, parce qu’elle est vaine ! Il ne me reste que de m’envelopper dans le manteau de ma propre intégrité , et de me consoler par l’innocence de mes intentions. Puisqu’il est trop tard pour jeter les yeux en arrière, ma seule ressource est de recueillir toutes mes forces, pour soutenir les coups de la providence irritée, et pour faire tourner du moins à ma correction, des preuves qu’il ne m’est plus possible d’éviter. Joignez-vous à moi dans cette prière, ma tendre et fidèle Miss Howe, pour votre propre honneur et pour celui de notre liaison ; de peur qu’une chute plus profonde, de la part de votre malheureuse amie, ne jetât de l’ombre sur une amitié qui n’a jamais rien eu de frivole, et dont la base est notre mutuelle utilité dans les plus importantes occasions, comme dans les plus légères. Cl Harlove.



Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

samedi après-midi, 23 avril. ô ma meilleure, ma seule amie ! C’est à présent que je ne puis plus vivre ! J’ai reçu le coup au cœur ; je n’en guérirai jamais ! Ne pensez plus à la moindre correspondance avec une misérable qui semble désormais absolument dévouée.