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qui m’avait fait tourner la tête, n’était pas de la moitié si… si quoi ? Ma chère. Assurément Lovelace est un homme charmant, et s’il ne lui manquait pas… mais je ne veux pas vous faire monter de la chaleur au visage en lisant cet endroit de ma lettre. Non, non, j’en serais bien fâchée. Cependant, ma chère, ne sentez-vous pas ici que le cœur vous bat ? Si je devine juste, n’ayez pas honte de me l’avouer. C’est générosité, chère amie ; voilà tout. Mais, comme disait l’augure romain : César, gardez-vous des ides de mars. Adieu, la plus chère de mes amies, et pardon. Hâtez-vous d’employer votre nouvel expédient, pour me dire que vous me pardonnez.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

Mercredi, premier mars.

Vous me causez de l’embarras et vous m’allarmez, ma très-chère Miss Howe, par la fin de votre lettre. à la première lecture, je n’avais pas cru, ai-je dit en moi-même, qu’il fût nécessaire de me tenir en garde contre la critique, en écrivant à une si chère amie. Mais ensuite, étant venue à me recueillir, n’y a-t-il rien de plus ici, me suis-je demandé, que les saillies ordinaires d’un esprit naturellement vif ? Il faut assurément que je me sois rendue coupable de quelque inadvertance. Entrons un peu dans l’examen de moi-même, comme ma chère amie me le conseille.

J’y suis entrée, et je ne puis convenir d’aucune chaleur qui me soit montée au visage, ni de ce battement de cœur dont vous me parlez. Non, en vérité, je ne le puis. Cependant je conviens que les endroits de ma lettre, sur lesquels vous vous exercez avec un mêlange d’enjouement et de sévérité, m’exposent naturellement à votre agréable raillerie ; et je ne puis vous dire ce que j’avais dans l’esprit, lorsqu’il a conduit si bizarrement ma plume.

Mais enfin, est-ce une expression trop libre, dans une personne qui n’a point de considération fort particulière pour aucun homme, de dire qu’il y a quelques hommes qui lui paroissent préférables à d’autres ? Est-il blâmable de dire qu’on croit dignes de quelque préférence ceux qui, n’ayant pas été bien traités par les parens d’une personne, lui font le sacrifice de leurs ressentimens ? Ne m’est-il pas permis, par exemple, de dire que M Lovelace est un homme qui mérite d’être préféré à M Solmes, et que je lui donne en effet la préférence ? Il me semble que cela peut se dire, sans qu’il y ait à conclure nécessairement qu’on ait de l’amour pour lui.

Il est certain que pour tout au monde je ne voudrais pas avoir pour lui ce qu’on appelle de l’amour ; premièrement, parce que j’ai mauvaise opinion de ses mœurs, et que je regarde comme une faute, à laquelle toute notre famille a eu part, excepté mon frère, de lui avoir permis de nous voir, avec des espérances qui, étant néanmoins fort éloignées, n’autorisaient aucun de nous, comme je l’ai déjà observé, à lui demander compte de ce que nous apprenions de sa conduite. En second lieu, parce que je le crois un homme vain, et capable de se faire un triomphe, du moins