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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/540

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Combien de filles se sont laissé entraîner, qui auraient été même à couvert de l’attaque, si elles avoient marqué le ressentiment convenable lorsqu’on a mis le siége devant leurs yeux ou leurs oreilles ? Il m’est arrivé d’en assiéger plus d’une par un mauvais livre, par une citation hasardée, ou par une peinture indécente : et celles qui n’en paroissaient point offensées, ou qui se contentaient de rougir, sur-tout si je les voyais sourire et lorgner, nous avons toujours compté, le vieux Satan et moi, qu’elles étoient à nous. Que d’avis salutaires je serais en état de donner à ces fripponnes, si je le jugeais à propos ! Peut-être leur offrirai-je quelques jours des leçons, moins par vertu que par envie, lorsque la vieillesse m’aura fait perdre le goût de la volupté. Mardi au soir. Si vous êtes à Londres le jour que nous y arriverons, vous ne serez pas long-temps sans me voir. Ma charmante se trouve un peu mieux. Ses yeux me l’apprennent ; et sa voix harmonieuse, que j’entendais à peine la dernière fois que je l’avais vue, recommence à faire le charme de mes oreilles. Mais point d’amour, point de sensibilité. Il ne faut pas penser, avec elle, à ces libertés innocentes (du moins dans leurs commencemens, car tu sais qu’elles conduisent toujours à quelque chose) qui adoucissent, ou, si tu veux, qui amollissent le cœur de ce sexe. Je trouve cette rigueur d’autant plus étrange, qu’elle ne désavoue plus la préférence dont elle m’honore, et qu’elle a le cœur capable d’une profonde tristesse. La tristesse attendrit, énerve. Une ame affligée tourne la vue autour d’elle, implore en silence la consolation qui lui manque, et ne se défend guère d’aimer son consolateur.



M Lovelace à M Belford.

mercredi, 26 avril. Enfin, mon heureuse étoile nous a conduits au port désiré, et nous avons pris terre sans obstacle. Le poëte a fort bien dit : " l’homme actif et résolu surmonte les difficultés… etc. " mais, au milieu de mon triomphe, je ne sais quoi, que je ne puis nommer, rabaisse ma joie, et jette un nuage sur les plus brillantes parties de ma perspective. Si ce n’est pas la conscience, c’est quelque chose qui ressemble prodigieusement à ce que je me souviens d’avoir pris autrefois pour elle. Sûrement, Lovelace (t’entends-je dire avec ton air épais), tes honnêtes notions ne sont pas déjà évanouies ? Sûrement, tu ne finiras pas en misérable avec une fille que tu reconnais si digne de ton amour ? Je ne sais que répondre là-dessus. Pourquoi cette chère fille n’a-t-elle pas voulu m’accepter, lorsque je m’offrais de si bonne foi ? Depuis que je l’ai ici, les choses se présentent à mes yeux sous une face toute différente. Notre bonne mère et ses filles sont déjà autour de moi. La charmante personne ! Quel teint ! Quels yeux, quelle majesté dans toute sa figure ! Que vous êtes heureux, M Lovelace ! Vous nous la devez ; vous nous devez une si aimable compagne. Ensuite, ces diablesses me rappellent mes idées de vengeance et de haine contre toute sa famille. Sally,